Les notes en prépa, effet moteur
Il est 8h30 au lycée Louis Le Grand de Paris 75005, dans la classe VH218 s’entassent 45 élèves de prépa maths sup PCSI. C’est l’hiver, il fait encore nuit, l’atmosphère est étrangement calme dans cette classe surchargée.
Une ambiance solennelle se propage, Laurent Kaczmarek, professeur de mathématiques en maths sup, se lève et serpente dans la classe. Un premier mot sort de sa bouche, “Pierre!” et d’un geste furtif sans ralentir le pas, il dépose une copie face retournée sur le pupitre de l’élève. Pierre, l’air hagard, ne connaît pas encore sa note au dernier DS de maths. Peu importe, il sait et tout le monde sait qu’il vient de minorer le contrôle de maths, une “crasse !” se murmure au loin. Il ne retournera pas sa copie et gardera le nez sur sa table pendant le reste de cette litanie.
Au fur et à mesure que les noms s’égrènent, les visages d’élèves n’ayant pas encore reçu leur copie se relâchent, des regards se croisent, quelques-uns s’autorisent même un sourire. Le tas de feuilles s’amenuise dans les bras du maître des lieux, qui ne s’attarde à aucun commentaire. Tous se demandent combien de copies restent à distribuer, 5, 4, 3, 2, “et pour finir Marc, quelques erreurs tout de même” lâche le professeur laconiquement.
À chaque professeur sa façon de gérer la distribution des devoirs (devoir maison et devoir surveiller), par classement croissant ou décroissant, en annonçant la note ou non, en appelant les élèves, avec ou sans commentaire. Une chose est sûre, pour l’avoir vécu, je détestais lorsqu’un professeur ne se prêtait pas au jeu et donnait les copies aléatoirement, pour ne froisser personne. Je voulais connaître la note des autres et me situer par rapport au groupe.
Une course sans podium ? Juste pour le plaisir ?
Ne touche pas à ma note en prépa
Ce rituel, sacro-saint de la prépa, est craint mais à la fois vénéré de tous, Marc remettra en jeu son titre de major au prochain DS, et beaucoup d’élèves voudront lui disputer sa ceinture de champion… “Lorsqu’on majore en prépa, on est respecté, on devient le lièvre pour toute une meute” nous confie Abdelnour, originaire de Corbeil. “La majorant c’est un peu le maillot jaune, rien à voir avec le secondaire et l’étiquette du fayot qui colle à la peau surtout en banlieue, c’est de l’abus”. Amir, originaire de Tunis, renchérit “c’est la culture de la réussite en prépa, les notes ne sont pas un tabou, vous devenez votre note en prépa”.
Quant à Pierre, bon dernier, il se sentira touché mais pas coulé, et nul doute qu’il voudra prouver à ses camarades que ce n’était qu’un accident de parcours. Il avoue “ce n’est pas cool d’être dernier en prépa, on n’a qu’une hâte c’est d’en découdre et de laisser la place à quelqu’un d’autre”. Et lorsque je leur demande ce qu’ils pensent d’une éventuelle disparition des notes en prépa, “j’aurai une image ? Une gommette ? Et puis quoi encore ? Ce sont les nuls qui ne veulent pas de notes, les nuls ont qu’à aller dans une filière de nuls à la fac…”. Leur réaction est à la hauteur de leur ambition, aiguisée !
La classe préparatoire est donc la filière où le classement et donc les notes sont essentiels pour se jauger et atteindre l’excellence. Cette recherche d’excellence a certainement participé à la longévité de cette filière et à son succès. Les élèves de prépa défendent un statut, “majorant”, “élève bouillant”, “brute épaisse”, “élève perdu”, “crasse”. Un statut qui se forge à la force du poignet, de l’index et du pouce. “On n’hérite pas du talent de ses parents en maths, il faut bosser, ma récompense c’est ma note, alors ne touche pas à ma note”.
Disparition des notes = disparition des mauvaises notes en prépa ?
“Depuis que l’arrêt des notes a été mis en place au collège, il n’y a plus de mauvaises notes, c’est bien la preuve que cela marche non?”, c’est le genre de sophismes que certains politiques aiment employer.
Pour un collégien qui obtient constamment de mauvaises notes, il est certain que l’ambiance ne doit pas être joyeuse tous les jours, une forme de perte de confiance peut s’installer. Nul doute aussi que des jeunes issus de familles modestes ont moins de chances de réussir à l’école républicaine que ceux provenant de milieux plus favorisés. Cependant certains saisissaient encore cette chance en obtenant de bonnes notes.
Mais voilà, certains ont des mauvaises notes alors il faut arrêter les notes, purement et simplement, par mesure d’égalité ?
Et si c’était en fait l’école qui se voilait la face à travers cette politique de l’autruche ?
Pourquoi ne pas essayer de faire en sorte que ces élèves en difficulté aient simplement de meilleures notes? Pas en gonflant artificiellement les notes comme dans certains lycées de banlieue pour acheter la paix scolaire, ou pour faire bénéficier les enseignants d’un succès d’estime. Non, simplement en rendant le système éducatif meilleur. Et c’est plus dur en effet.
En enlevant la prise de mesure, nous empêchons le constat d’échec, la prise de conscience. On arrête certes les mauvaises notes mais on arrête aussi les bonnes notes. Et si pour certains les bonnes notes étaient une porte de sortie vers des débouchés à forte valeur ajoutée, on ferme cette porte aux déshérités, cette possibilité de s’émanciper socialement, de s’élever. C’est un peu comme l’affaire du circonflexe, que vous connaissez sans doute.
L’effet circonflexe, l’école à 2 vitesses
C’est bien connu, l’accent circonflexe ne sert à rien, alors avec la réforme de l’orthographe on autorise les deux façons d’écrire avec ou sans accent. Bien entendu, dans les établissements de banlieue ou moins favorisés, on leur dit d’écrire forêt sans circonflexe, en leur disant que c’est autorisé, qu’ils ne s’inquiètent pas, et ça, c’est de la flûte (ou de la flûte).
Et pourtant quand on lit “foret”, on ne peut s’empêcher de se dire qu’il y a une faute. D’ailleurs les recruteurs baby boomers voient une faute, mon correcteur automatique Microsoft aussi, ils stigmatisent, jugent, un peu comme pour un style vestimentaire négligé pour un entretien. Pendant ce temps au lycée Henri IV, comment pensez-vous qu’ils écrivent ce mot? C’est l’hypocrisie du système tout entier.
C’est pareil avec les notes, elles vont disparaître mais certains établissements élitistes poursuivront leur utilisation, contribuant à des inégalités de base (un élève n’a plus de bonnes notes car on ne note plus), et non à des inégalités naturelles (un élève n’a plus de bonnes notes car il n’est pas bon). C’est aussi le même problème avec les devoirs à la maison. Il n’y en a plus dans les petites classes, ne pensez-vous que certains parents continuent de faire réviser leurs enfants à la maison sur des tables de multiplication ou de la conjugaison, et que des inégalités se creusent ?
Le système doit pouvoir “nourrir” des élèves qui en demandent plus, et doit aussi pouvoir rétribuer les meilleurs au risque d’un nivellement vers le bas qu’on observe déjà depuis de nombreuses années.
L’arrêt des notes sauf pour les meilleurs en CPGE ?
Les élèves de prépa le savent mieux que quiconque, ils sont dans une filière ultra-sélective, ils ont signé pour ça. Pour beaucoup, ce n’est pas une découverte, ils étaient déjà dans ce mode au lycée, voire même au collège dès la préparation du brevet. Lorsqu’ils ont été affectés dans un lycée avec le logiciel Affelnet, il y avait déjà de la sélection. Dans certains milieux (qui réussissent), la sélection opère depuis le berceau. On peut refuser de le voir, refuser d’y participer mais elle existera toujours.
En prépa, un concours viendra sanctionner leur niveau à la fin des deux années de maths sup maths spé pour intégrer une grande école d’ingénieur. Le nombre de places aux concours CPGE des écoles d’ingénieurs est limité, c’est la loi de l’offre et de la demande, la concurrence fait partie du quotidien, comme dans la vie normale en somme. Il faut donc sélectionner, classer, calibrer les élèves. L’objectif final d’atteindre ses propres limites en prépa est de savoir ce que l’on vaut vraiment.
Pour cultiver cet esprit de sélection et motiver les troupes à se dépasser, le système CPGE s’est mué en une culture du classement, une culture de la gagne tel le sport de haut niveau : exacerber la volonté de faire mieux que les autres. En prépa, on ne se définit pas par sa note ou sa moyenne générale en maths qui ne veulent rien dire dans l’absolu mais par son classement par matière et son lycée (lui-même bénéficiant d’un classement CPGE officieux).
Alors oui en prépa les notes ne “servent à rien”, ou du moins elles ne sont “qu’un” moyen de classer et non une fin en soi. Et seul le classement compte, il donnera un aperçu de ce qu’un élève est en droit de prétendre comme écoles d’ingénieur lors du sprint final.
Oui, car les écoles aussi possèdent leur classement, plus ou moins officiel et clair (1. X, 2. Centrale Paris – Mines Paris, 3. Ponts et chaussées…). Les écoles elles-mêmes tentent de satisfaire à un classement avec l’attribution de label d’écoles les certifiant.
Les classes prépas sans note
Pourrions-nous imaginer le système des classes prépas sans note? Et donc sans classement? Car c’est bien ce dont il s’agit aux échelons inférieurs (collège, lycée). Les notes sont sources de stress pour les élèves de collège entend-on! Il faut raisonner par compétence acquise, favoriser l’apprentissage de briques indispensables, savoir lire, écrire, compter. Alors pourquoi la “voie royale” qu’est la prépa et qui aboutit au plus faible taux de chômage ne s’y contraindrait pas.
L’arrêt des notes en prépa CPGE d’ici quelques années, cela pourrait donner :
- Un système de validation d’objectifs par chapitre. Il faudra savoir faire et appliquer une liste de théorèmes en maths par exemple. Dans le cas où des compétences ne sont pas acquises, un système de rattrapage sera mis en place avec de l’aide au devoir qui remplacera les colles. Dans le cas où même après rattrapage, la barre n’est pas franchie, un redoublement sera proposé. Ce sera un système proche des prépas intégrées actuelles.
- Si les exigences ne sont pas atteintes après le redoublement, une réorientation à la fac sera proposée
- En maths spé, pour des élèves ayant tout validé, aucune distinction n’a été faite pour les différencier, hiérarchiser. Une liste de vœux géographiques et de domaines d’études sera émise par le candidat, qui servira de premier niveau d’affectation, puis un tirage au sort déterminera la destination finale du candidat si nécessaire pour affiner
- Le candidat pourra refuser et se réorienter mais il ne pourra contester son affectation. Un peu à la manière du service militaire d’antan.
- Les candidats sont interchangeables, ils ont les mêmes compétences et seront envoyés là où il y a de la demande.
3 règles dans la vie : classement, classement, classement
Ce qui est inquiétant avec la direction que prennent les réformes actuelles, c’est l’impression d’une totale déconnexion de l’éducation nationale avec le monde qui nous entoure.
On peut ne pas aimer le monde virtuel, être nostalgique des craies et du tableau noir, mais on n’arrête pas le progrès. On parle d’arrêt des notes alors que le monde numérique et Internet nous baignent dans la culture des notations, des “reviews”, des “ratings” et des “5 étoiles”. Que ce soit sur Uber, Airbnb, Blablacar, Google (et bien d‘autres) nous sommes tous notés, consommateurs et fournisseurs de service. Et ceci dans le but d’établir des règles qui rendent l’expérience meilleure pour toutes les parties prenantes. Pour moi l’école du futur devrait aller dans la direction d’un modèle où les élèves notent les profs et non d’un modèle où les notes disparaissent.
Certes, on ne doit pas introduire à des enfants de 3 ans des concepts de compétition et de classement. Cependant, le collège doit être l’occasion de faire l’apprentissage des notes en prévision de leur orientation après la 3eme, au lycée et au supérieur. J’ai bien peur que la tendance soit plutôt à faire disparaître les notes au secondaire à terme de manière totale.
On comprend bien que l’arrêt des notes en prépa n’aura jamais lieu… Alors pourquoi nos politiques, qui pour la plupart sortent de filières sélectives où les notes ont une place prépondérante, tiennent tant à détricoter le système? Un peu comme une ministre de l’éducation nationale qui réformerait le collège public mais placerait ses enfants dans le privé… Ce double discours est fatigant et contribue à un système à 2 vitesses où les bons élèves continueront d’être confrontés aux notes, aux classements ; et donc à s’aguerrir en prévision de leur entrée dans le monde du travail.
Alors qu’un élève qui sort du collège pour entrer dans une filière en alternance en lycée professionnel n’aura finalement jamais de sa vie eut la culture de la concurrence, de la note et donc du retour d’expérience de potentiels clients… L’État aura peut-être l’idée d’un numerus clausus pour les plombiers, les boulangers, les peintres afin de leur assurer un avenir certain. Les notes, les classements, la sélection, la concurrence apparaissent comme un mal nécessaire.
C’est également le cas dans le monde professionnel et la recherche d’emploi. Nous classons les entreprises, les entreprises classent les candidats, ceci n’est pas prêt de changer. Ment-on aux élèves en ne les préparant pas à cela? Car les études, outre le fait d’éduquer, ont pour vocation d’aider à trouver un métier. Dans des conditions de chômage endémique, la sélection a lieu, les candidats doivent se démarquer, ils doivent d’un point de vue personnel tenter de se doter d’avantages concurrentiels et non pas d’être un “copier-coller” de leurs camarades à qui on promet une place dans un monde rationné.
Jonathan Molon
À propos de Jonathan
Après avoir fréquenté une prépa scientifique PCSI/PC*, je m’occupe d’assurer le bon déroulement des cours particuliers et des stages intensifs chez Groupe Réussite. L’école est la base de toute la société, redonnons-lui sa place !
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