Dynamique de fusion des grandes écoles.
La France rattrape-t-elle son retard par rapport à l’étranger ?
Depuis quelques années, la mode est à la fusion entre grandes écoles de commerce ou d’ingénieurs. Après la success story de Skema, née en 2009 de la fusion entre l’ESC Lille et le Ceram à Nice, nombreuses sont celles qui se lancent à leur tour dans l’aventure. Du côté des écoles de commerce, 2013 a été l’année de deux fusions importantes : les ESC de Rouen et de Reims ont donné naissance à Neoma Reims et Neoma Rouen, et les ESC de Bordeaux et Marseille à KEDGE Bordeaux et Kedge Marseille. Côté école d’ingénieurs, la grande fusion concerne évidemment Centrale Paris et Supélec, qui après avoir formé une alliance en 2008, s’allient et forment la marque Centrale Supélec en 2015, qui délivrera un diplôme unique aux étudiants qui sortiront à partir de 2020.
Au-delà de ces fusions phares, on assiste à une accélération des rapprochements entre les écoles, sous différentes formes. Pour Grenoble École de Management et l’EM Lyon, il s’agit d’une alliance (Alliance Lyon-Grenoble Business School), alors que l’ESCP a absorbé Novancia, une école post bac – qui disparaît donc. Même si les meilleures écoles de commerce et d’ingénieur résistent encore à la tendance, il semble que cette dynamique ait notamment pour but de concurrencer les grands ensembles américains ou asiatiques ; ces établissements accueillent parfois plusieurs dizaines de milliers d’étudiants en même temps, ce qui semble peser significativement dans les classements internationaux.
Fusionner, une action nécessaire pour survivre ?
Face à la multiplication de ces rapprochements entre écoles, une question apparaît essentielle : une école ne peut-elle donc pas survivre toute seule ? C’est ce qu’affirment en tout cas plusieurs directeurs d’écoles. Alice Guilhon, ex-Directrice Générale du Ceram devenue Directrice Générale de Skema, explique que la fusion avec l’ESC Lille était nécessaire, du fait des restrictions budgétaires imposées par les chambres de commerce à partir de 2008. Certains coûts sont en effet réduits puisque, par exemple, un seul service de communication suffit pour l’équivalent de deux auparavant.
Si survivre peut alors être invoqué pour justifier une fusion, être présent et significatif à l’échelle internationale est vraisemblablement la principale raison. On considère souvent que la taille critique d’une école de commerce au niveau mondial est atteinte pour un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros, et 150 enseignants-chercheurs. Pour de nombreuses écoles, l’unique moyen d’atteindre ces seuils est de s’allier avec une autre école, et ces alliances permettent généralement également de grimper dans les classements internationaux. Par exemple, le programme « Global MBA » de KEDGE est désormais classé 23ᵉ mondial par le Financial Times, soit une progression en six ans de… Soixante-et-une places !
Enfin, fusionner permet d’accueillir un plus grand nombre d’étudiants et ainsi d’optimiser l’utilisation des professeurs qui donnent cours, des salles de classe et du campus en général. Aujourd’hui, 49 % des directeurs des 200 écoles d’ingénieur françaises estiment qu’il existe un intérêt à fusionner, selon un sondage de l’Usine Nouvelle. Ainsi, le classement des écoles d’ingénieurs et le palmarès des écoles d’ingénieurs post bac pourraient être fortement impactés par de nouvelles fusions.
Des réussites… mais pas toujours !
Une fusion entre deux écoles peut donc être extrêmement bénéfique. Par exemple, si l’on compare les classements avant et après la fusion, le Ceram et l’ESC Lille étaient toutes deux positionnées autour de la 15ᵉ place avant, alors que Skema est désormais aux alentours de la 7ᵉ place.
Dans le classement Challenges, KEDGE a également profité de la fusion pour gagner quelques places au classement et est à présent 5ᵉ. Cependant, cette montée n’est pas systématique, et il existe de véritables échecs, dont l’exemple le plus marquant est France Business School (FBS), née en 2012 de la fusion de quatre écoles : l’ESCEM de Tours/Poitiers, et les ESC de Clermont-Ferrand, Brest et Amiens. FBS a voulu s’émanciper du chemin traditionnel de sélection en instaurant les « Talent Days », au cours desquels les candidats sont évalués à travers des tests et des jeux de rôle.
Cette innovation n’ayant pas plu au milieu conservateur des Grandes Écoles, FBS a été exclue de la « Conférence des Grandes Écoles » et s’est aussi vue retirer le grade de master par le ministère, dans l’attente de résultats. Néanmoins, les Talents Days n’ont pas séduit les candidats et la rentrée 2013 a été catastrophique en termes de résultats (340 admis dans le programme Grande École contre 1300 programmés – soit une baisse de 77 % par rapport à la rentrée 2012 pour l’ensemble des écoles).
Après seulement deux ans d’existence, FBS a été dissoute et les quatre écoles sont redevenues indépendantes. Dans son rapport annuel de février 2017, la Cour des Comptes a de plus épinglé une très mauvaise comptabilité, le non-respect des commandes publiques, une disparité des statuts des salariés. Pourquoi alors certaines fusions réussissent-elles et d’autres non ? Pour certains, une fusion ne peut être réalisée que pour des écoles dont les performances sont comparables.
La fusion : une fausse bonne idée ?
Malgré cette volonté de concurrencer les universités étrangères, il existe des risques importants si les fusions se multiplient. D’une part, fusionner signifie forcément homogénéiser. Au-delà des coefficients aux concours, on sait que la spécificité est souvent érigée comme un avantage pour attirer les meilleurs profils. Notamment en ce qui concerne les écoles d’ingénieur, la diversité est une force : Chimie Paris, AgroParis Tech, Supelec… Toutes ces écoles ont forgé leur excellence dans un domaine particulier que les recruteurs reconnaissent et recherchent.
Autre problème – et non des moindres – le changement de nom résultant de la fusion. Skema, Kedge et Neoma ont toutes trois abandonné des noms reconnus par les recruteurs pour se forger une nouvelle identité. Si Skema a compris ceci très vite et a investi en communication pour que la marque soit connue et reconnue. Neoma en a davantage pâti, et beaucoup expliquent sa baisse de six places dans le classement Challenges par une perte de notoriété. On connaît bien l’importance du réseau en école de commerce, notamment quand il s’agit de créer des connexions avec les alumni.
Le grand projet de Paris-Saclay
« Faire émerger un écosystème de l’innovation de rayonnement mondial », tel est le projet du campus de Paris-Saclay qui, à 20 kilomètres de Paris, doit créer un cluster rivalisant avec Oxford ou Cambridge. Lancé en décembre 2014, le projet de construction de l’Université Paris Saclay rassemblait au départ deux universités, dix grandes écoles (dont HEC, l’ENS, CentraleSupélec et Polytechnique) et sept organismes de recherche.
En ce qui concerne la formation, les élèves étaient répartis dans huit « secteurs », sur le modèle anglo-saxon (droit et sciences politiques, humanités, sciences sociales…). Ce projet est pour l’instant le seul qui puisse rapprocher les universités françaises de celles du monde anglo-saxon. En effet, aujourd’hui une école française représente en termes d’effectifs et de chiffre d’affaires un département d’une université américaine ou anglaise. Par comparaison, ce sont 50 000 étudiants qui seraient intégrés à Paris-Saclay, un nombre qui dépasserait largement les 21 000 étudiants d’Oxford ; et Paris-Saclay compte 10 500 professeurs-chercheurs contre 2500 à Harvard.
Le projet tient donc ses promesses en ce qui concerne le rapprochement des standards mondiaux. Reste à savoir si les grandes écoles et les universités françaises seront en mesure de s’entendre sur la construction des unités pédagogiques et sur les modalités de gouvernance ; on sait à quel point les deux modèles ont jusque-là eu du mal à se comprendre et à collaborer. Ensuite, il faudra voir si l’atteinte de la taille critique suffira à rattraper le retard accumulé par les universités françaises…
Marie Giraudeau
À propos de Marie
Ancienne élève de prépa ECE, j’ai intégré l’ESCP. Je contribue ponctuellement pour Groupe Réussite afin de donner mon analyse des défis des classes préparatoires économiques et de la vie en école de commerce.
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