Analyse des œuvres sur le travail en prépa scientifique
Tout savoir sur les œuvres étudiées en CPGE scientifique
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Cours particuliers de français
Les œuvres du thème 2022-2023 du travail en prépa scientifique
Le programme de Français-Philosophie pour les prépas scientifiques (MPSI, PCSI, PTSI, BCPST, MP2I, MP, PC, PSI et PT) a été dévoilé dernièrement. Le thème sera ainsi « Le travail. » Les trois œuvres qui seront à étudier et à employer lors de l’épreuve écrite du concours sont donc désormais connues.
- Virgile, Géorgiques, Traduction Maurice Rat, Flammarion.
Simone Weil, La condition ouvrière, Gallimard- Folio essais 2002, N°409.
« L’usine, le travail et les machines » pages 49-76 et 205-351 (mais sans « journal d’usine, pages 77 à 204) - « La condition ouvrière », pages 389 à 397 et « Condition première d’un travail non servile », pages 418 à 434.
- Folio essais 2002, N°409.
- Michel Vinaver, Par-dessus bord. Version hyper brève, Actes Sud
De nombreux élèves ont recours à des cours particuliers de français afin de travailler la méthodologie du résumé de texte et de la dissertation, mais également pour travailler le thème du “Travail”. L’idée étant d’avoir un accompagnement complet qui permet aux élèves de maximiser leurs chances de réussite à l’épreuve écrite du concours. Pour travailler le thème du travail, n’hésitez pas à consulter notre analyse du thème du travail en prépa scientifique.
Après un tour d’horizon philosophico-historique du thème du travail à travers les penseurs, et les âges, voici venu le temps de présenter plus en détails les trois œuvres au programme, en guise d’introduction à une année de lectures, de relectures, et de travail – dans une ambiance relevant davantage de l’otium que du laborum, faut-il l’espérer.
Retrouvez également un article sur les citations des œuvres sur le thème du travail en prépa.
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Virgile, Géorgiques : travail des champs, travail de l’artiste
1 – Virgile, poète officiel et épique
« Outre le charme subtil et vibrant de sa langue, pourquoi ressentons-nous l’impression de nous ressourcer en lisant l’Enéide ou les Géorgiques ? (…) On mesure à quel point lire Virgile aujourd’hui, loin d’être un passe-temps suranné, est sans doute un des moyens d’analyser les tumultes de notre temps et d’en percevoir les remèdes possibles. » C’est ainsi que l’académicien et ancien ministre de l’Éducation Xavier Darcos évoque un auteur qui lui est cher : Virgile. Paul Claudel définissait encore notre Virgile comme « le plus grand poète que la terre ait porté ». Claude Simon a même nommé un de ses ouvrages, en hommage à Virgile, Les Géorgiques. Mais pourquoi donc tous ces éloges ? Nous allons le voir.
Le poète romain a vécu l’âge d’or augustéen (-70 / – 19), dans cette transition entre la République et l’Empire que l’on nomme le principat. Né à Mantoue, Virgile est surtout issu, on le notera, d’une riche famille de « classe moyenne » de l’époque : il n’appartient ainsi pas aux 85 % d’agriculteurs que compte le monde romain de son siècle – alors même qu’il écrira donc, avec les Bucoliques, sur la vie rurale et les bergers, et avec les Géorgiques, sur le travail des champs. En somme, pratiquant l’otium, Virgile n’a pas connu le « véritable » laborum ou negotium, à l’inverse, comme on le verra, de Simone Weil.
Maladroit en rhétorique, marqué par la philosophie épicurienne, Virgile s’est particulièrement illustré avec ses œuvres poétiques. Son absolu chef d’œuvre, pour lequel il reste encore aujourd’hui lu et connu, demeure L’Énéide : il s’agissait, en somme, pour Virgile, de livrer à Rome une « Odyssée » telle que celle d’Homère pour le monde grec. On y trouve quelques fameuses formules proverbiales (« Timeo Danaos et dona ferentes », « je crains les Grecs même quand ils apportent des présents », en référence au cheval de Troie). Virgile narre, avec un style épique, le voyage d’Énée depuis Troie jusqu’en Italie. L’objectif pour lui est double : tout d’abord donner une origine prestigieuse (Troie) à Rome (car le fils d’Énée fonde Albe-la-Longue, où seraient nés Romulus et Remus).
Mais le deuxième objectif de Virgile est moral et politique : il s’agit de faire, même si le mot est anachronique, une œuvre de propagande, au service du régime augustéen encore mal nommé et identifié par les Romains (qui croient que la République, res publica, se poursuit). Entre les lignes, et entre les éloges de Virgile, le poète décrit le retour à un âge de paix et de prospérité, après la série de guerres civiles entre Marius et Sylla, César et Pompée, etc.
Virgile devient ainsi le poète de son prince, en même temps que d’être le prince des poètes ; poète officiel, poète de son époque, poète chantre d’Auguste (on trouvera également de nombreuses références et éloges à Auguste dans Les Géorgiques). Se perçoivent dans notre œuvre au programme, à la fois l’éloge de la stabilité politique retrouvée ; et le retour à une certaine moralité prude, travailleuse, justement toute paysanne, celle dont Virgile fait l’éloge aussi dans ses autres livres. Comme le relate Jean-Paul Brisson, ce paysan « acharné au travail dans sa lutte contre la nature, apparaît finalement comme le type exemplaire de ce citoyen d’un nouveau genre dont le bonheur frugal se soucie peu des destinées de la cité et à qui les maîtres du pouvoir demandent seulement de les laisser faire » (BRISSON Jean-Paul, Virgile. Son temps et le nôtre, La Découverte,1966.).
2 – Les Géorgiques ou le tableau des labours, labeurs et malheurs paysans
Cet aspect lié à l’éloge d’une certaine morale romaine, travailleuse, paysanne, est aussi directement au centre de deux autres œuvres de Virgile : Les Bucoliques et Les Géorgiques. Deaux œuvres publiées juste avant L’Énéide et qui valent, d’emblée, à Virgile sa réputation de poète accompli.
Les Bucoliques doivent être directement reliées à notre œuvre au programme. Publié vers 38-37 av-JC, ce poème vaut un succès immédiat à Virgile. Les héros en sont non tout à fait les paysans, mais les bergers (l’œuvre est en quelque sorte un recueil de chants de bergers). Virgile situe bien sûr son œuvre en Italie, ce qui donne également un tour patriotique à l’ouvrage. La vie simple et heureuse des bergers y est célébrée, dans une sorte d’harmonie avec la nature.
Les Géorgiques (écrit entre -36 et -29) quant à eux, décrivent bien davantage les travaux des champs (géôrgos, en grec, signifie « le paysan »), avec une perspective plus réaliste ou pessimiste. Alors que L’Énéide empruntait un registre épique, le registre du poème (en hexamètres dactyliques, même si la traduction ne rend pas compte de cet aspect versifié) est cette fois didactique : il s’agit en quelque sorte d’un « manuel d’agriculture pratique » à destination des paysans, à l’image de précédents ouvrages du romain Varron et du grec Hésiode (Les Travaux et les Jours ; notons que Michel Vinaver, auteur de la troisième œuvre au programme, a écrit une œuvre du même nom). Comment cultiver ses champs, quand planter les récoltes, comment soigner les maladies des animaux ou bien récolter le miel des abeilles… c’est une sorte de « Wikipédia » poétique des travaux des champs.
Le poème se divise en quatre livres. Dans le Livre I est décrite la culture des champs (blé notamment) et des semailles et récoltes. Le Livre II traite des plantes et surtout de la vigne. Le Livre III s’intéresse aux animaux, aux cheptels, aux bœufs, et aux épizooties. Le Livre IV est tout entier consacré au modèle de la ruche des abeilles, que Virgile apprécie pour leur ardeur au travail et leur dévotion à cette petite république que constitue une ruche, jusqu’au sacrifice suprême.
Ainsi les deux premiers Livres traitent des végétaux, les deux derniers des animaux. Dans chaque livre, figurent également des invocations aux Muses, aux Dieux, aux phénomènes surnaturels ; on trouve aussi des développements sur la situation politique (bien sûr améliorée par Auguste qui apporte de la stabilité) et quelques excursus notamment mythologiques (le mythe d’Orphée par exemple).
Financé par son riche bienfaiteur Mécène, Virgile, dans Les Géorgiques, décrit la rude et dure vie des paysans sous la Rome augustéenne.
3 – Le travail selon Virgile.
Pour aborder la vision du travail chez Virgile, il convient de distinguer la description du laborum, et la situation d’otium dans laquelle se trouve le poète.
Le laborum / negotium du paysan tout d’abord : chez Virgile, se distinguent à la fois la réalité crue du travail et sa valeur morale fondatrice. Le travail étant plus au moins assimilé aux travaux des champs. Virgile, même s’il fera l’éloge de ce travail, ne cache rien de ses difficultés. Les éléments naturels sont bien souvent déchaînés, la lutte contre la nature semble presqu’inégale, d’autant plus que les Dieux sont parfois de la partie ; et Virgile relate maintes récoltes ou troupeaux dévastés en quelques minutes par un phénomène météorologique. L’aspect répétitif, laborieux, pénible, lent, parfois presque sans fin du travail paysan, est également constaté. On compatit bien souvent avec ces paysans dont le dévouement et l’ardeur au travail n’ont parfois pour égal que la difficulté de la tâche.
Mais ne pensons pas que Virgile décrive ce laborum du paysan comme quelque chose de vain ou d’inutile. Au contraire, il existe un véritable éloge, et une morale du travail, chez Virgile. Cet éloge du travail est directement à relier à l’époque augustéenne et la volonté de Virgile de participer à l’effort de remoralisation du peuple romain. Ainsi que l’écrit Sylvie Laigneau-Fontaine dans l’introduction de l’ouvrage au programme, « la volonté d’Octave de « re-moraliser » la société romaine en lui faisant retrouver les vertus d’antan (goût du travail et de l’effort, frugalité, austérité, simplicité…) et de remettre à l’honneur l’agriculture » est au centre de l’œuvre virgilienne ». Le sommet de la dévotion se trouve donc dans la cité idéale des abeilles, et il ne faut pas être grand clerc pour voir dans la reine des abeilles une figure d’Auguste… Le travail est ainsi une nécessité non seulement pratique et alimentaire, mais encore une obligation et une vertu morales.
Pour Virgile enfin, le travail a non seulement une vertu morale mais aussi une vertu presque démiurgique, de transformation du monde et d’une nature hostile en nature (provisoirement) maîtrisée. Cet éloge de la besogne, et de ses vertus moralisatrices, sont ainsi contenus dans une autre formule proverbiale : « Labor omnia vicit/ improbus » (Un labeur opiniâtre vient à bout de tous, ou « Tous les obstacles furent vaincus par un travail » dans la traduction de l’édition au programme).
4 – L’otium parle du laborum
Cependant il convient de ne pas oublier la situation particulière de Virgile : contrairement à Simone Weil qui ira à l’usine, Virgile, lui, est un fils d’une classe relativement aisée qui ne connaît pas directement la vie des champs. Il n’a du reste pas à « travailler », grâce au soutien financier du riche Mécène (d’où le terme « mécène » aujourd’hui par antonomase). Nous nous trouvons ainsi en face d’un poète pratiquant l’otium (le travail oisif, mais créatif au sens artistique) qui évoque le laborum.
Virgile aurait-il ainsi fait l’éloge de cette vie paysanne s’il avait proprement connu, de lui-même et toujours, la rudesse des champs ? On trouve en effet une certaine idéalisation des vertus de la vie paysanne (Victor Hugo évoquera le « mugissement des bœufs, au temps du doux Virgile », relatant cette idéalisation). A l’image d’Aristophane, le dramaturge grec, dans Les Acharniens. L’historien de la Grèce classique Patrice Brun évoque ainsi d’ailleurs en ces termes cette œuvre d’Aristophane où la vie paysanne est aussi idéalisée, et ces lignes pourraient être appliqués à Virgile également : « il faut éviter de tomber dans une description bucolique des durs et sains travaux des champs, éloignés de l’agitation néfaste de la ville parce que derrière cette idée apparemment bénigne se cache une idéologie à peine voilée » nous prévient Patrice Brun dans Le Monde grec à l’âge classique. « Les œuvres d’Aristophane (notamment Les Acharniens), souvent mises en avant pour donner chair cette petite paysannerie simple et frugale, honnête et dure au mal, attachée à des valeurs sûres et traditionnelles, se prêtent aussi à des analyses plus critiques » poursuit-il.
Dans la même veine, Virgile écrit des vers célèbres comme : « Qu’heureux seraient les hommes des champs s’ils connaissaient leur bonheur ». Alors même que Les Géorgiques recèlent de calamités successives pour des paysans qui ne semblent jamais voir les fruits de leurs semailles…
Il n’est donc pas surprenant de voir que l’œuvre de Virgile pêche aussi par son côté lacunaire. L’œuvre n’est pas complète : comment Virgile aurait-il fait pour nommer chaque plante, chaque espèce ? Le Livre II d’ailleurs recèle d’un aveu : « Mais il est impossible d’énumérer toutes les espèces de vins et les noms qu’ils portent ; et cette énumération d’ailleurs importe peu. Vouloir en savoir le nombre, c’est vouloir connaître combien de grains de sable le Zéphyr soulève dans la plaine de Libye, ou combien de flots, dans la mer Ionienne, se brisent sur les rivages, quand l’Eurus fond avec violence sur les navires ». Virgile « oublie » également des éléments importants pour l’agriculture de l’époque, comme la culture de l’olivier.
L’œuvre en réalité se destine moins à des paysans (qui ne savent pas lire ou presque) qu’à un public cultivé comme Virgile. Elle privilégie donc souvent la qualité poétique, la versification, à l’aspect pratique pour le paysan, qui aurait parfois bien du mal à décoder les conseils de Virgile, ou à s’y retrouver dans les nombreux excursus politiques ou mythologiques, ou enfin dans les multiples références antiques qui multiplient les notes de bas de page dans l’édition au programme. Comme s’il s’agissait de plaire davantage au lecteur, et à Auguste, qu’au paysan qui de toute manière ne lira pas l’ouvrage.
Sans se désintéresser, et loin de là, de la cause paysanne, Virgile ainsi s’en éloigne plus souvent qu’on pourrait ne le penser, à la fois par sa situation de poète plongé dans le confort de l’otium, et par les thèmes traités.
Heureusement serait-on tenté de dire : car Les Géorgiques ne sont pas un lourd, technique et pesant traité d’agriculture. Il s’agit d’une œuvre poétique admirable à laquelle la traduction précise de Maurice Rat dans l’édition au programme rend justice. En somme, pour conclure avec Sylvie Laigneau-Fontaine, « Les Géorgiques ne sont donc pas seulement un ouvrage didactique sur l’agriculture ; elles n’ont pas – ou du moins pas seulement – pour but d’enseigner l’agriculture à des fermiers, mais cherchent à faire réfléchir à la place de l’homme dans le monde, à son bonheur et à ses souffrances, à sa relation. »
Alors que Les Bucoliques évoquaient davantage la vie des bergers (et leurs champs), Les Géorgiques constituent une sorte de manuel pratique et poétique d’agriculture romaine.
Simone Weil et La Condition ouvrière
1 – Simone Weil ou « le plus grand esprit de notre temps » ?
« Le plus grand esprit de notre temps » : c’est ainsi qu’’Albert Camus qualifia la philosophe française Simone Weil – lui qui permit d’en faire connaître plus amplement les travaux. Commençons par un préambule utile : on ne confondra évidemment pas Simone Weil (1909-1943) avec Simone Veil, la ministre de la Santé à l’origine de la loi dépénalisant l’IVG et récemment entrée au Panthéon.
Quant à « notre » Simone Weil, elle était en en effet une philosophe pas comme les autres. « La plus punk des philosophes » selon Adèle van Reeth, l’animatrice des Chemins de la Philosophie sur France Culture ; « Vierge rouge » selon ses camarades, qui signalaient à la fois la pureté de son engagement, ses convictions anarchistes et sa spiritualité tardive mais certaine ; ou encore « la martienne » à l’École Normale Supérieure où elle se forma, après avoir suivi les cours de français du philosophe Alain à Henri IV (le philosophe restera un de ses maîtres).
La formation philosophique de Simone Weil est éclectique et peut expliquer en partie la diversité de ses écrits et de ses engagements. Sa formation est bien sûr d’abord classique : elle est une spécialiste hors-pair de la philosophie platonicienne. Mais elle a été également profondément traversée par la pensée de Marx et de Trotski, ce qui évidemment aura des influences sur son engagement à l’usine – toutefois elle n’est jamais une marxiste « orthodoxe » ou obstinée.
Enfin, sa plongée dans les philosophes chrétiens, dans l’étude de « la pesanteur et de la grâce » (titre d’un de ses derniers livres) suite à un retour tardif vers la spiritualité chrétienne (rappelant ainsi en cela le parcours de Charles Péguy), donne une profondeur de champ incomparable à sa pensée si diverse et foisonnante – et donc stimulante.
2 – Le « refus de l’arrière », fil rouge d’une vie
Il est par conséquent déroutant d’être confronté face à un tel parcours, entre philosophie classique, marxiste, et chrétienne. La vie d’engagement de Simone Weil l’est tout autant, comme nous allons le voir. Pour autant, il est possible de trouver deux explications au moins servant de fil rouge à la vie et l’œuvre de Simone Weil.
D’une part, ce qu’elle appellera le « refus de l’arrière » : arrière du front combattant durant la Seconde Guerre mondiale, mais aussi arrière du confort, de la facilité. Si les autres souffrent, Simone Weil se sent comme investie d’une mission, celle de partager leur peine. Autre fil rouge : celui de la recherche de la vérité. Pour Simone Weil, la vérité n’était pas seulement dans ces idées justement platoniciennes ; mais aussi dans la chair de l’engagement, au contact du terrain dirions-nous aujourd’hui, de l’expérience ; la réalité est d’ailleurs « toujours expérimentale » écrit-elle.
Voici donc une possible explication de cette vie d’engagement. Avant d’en venir à son embauche à l’usine qui nous intéresse bien sûr particulièrement, il s’agit d’abord de revenir sur son engagement politique et même militaire. Simone Weil part ainsi en Espagne en 1936 soutenir les troupes républicaines (comme André Malraux par exemple) engagées contre les troupes franquistes (elle dut revenir du front, blessée suite à un accident). Quatre années auparavant, elle s’était déjà rendue en Allemagne pour avoir les idées claires – et elle fut très clairvoyante – sur la nature du nazisme qui se prétendait régime à la fois national et socialiste.
On ne sera donc pas surpris de voir Simone Weil s’engager également durant la Seconde Guerre mondiale – alors même qu’en tant que d’origine juive, elle et sa famille sont en danger. Simone Weil se réfugiera à Marseille, fit émigrer ses parents aux USA ; mais évidemment, la brûlure de l’engagement était trop vive. Elle rejoignit Londres pour aider la Résistance du général de Gaulle, pour partager les conditions de vie des Résistants (toujours ce « refus de l’arrière »). Cependant sa santé particulièrement fragile, et affaiblie, on le verra, par son embauche à l’usine, ne lui permettra pas de lourds engagements. Au point qu’elle mourra de manière précoce, de la tuberculose, à Londres, le 24 août 1943.
La vie de Simone Weil a été une vie d’engagement, de sincérité, de souffrances – un véritable itinéraire géographique et philosophique qui l’a aussi conduit à l’usine.
3 – Une philosophe à l’usine : « La condition ouvrière »
Ce parcours d’engagement, ce refus de « l’arrière », de la planque, dirions-nous plus trivialement, vont donc conduire Simone Weil – qui s’est intéressée de près à la philosophie marxiste et à la condition ouvrière – à aller sur le terrain : c’est-à-dire, à s’engager à l’usine (après quelques premiers engagements syndicaux en tant qu’enseignante en 1931-1932). C’est la décision qu’elle prit en quittant ses fonctions de professeure agrégée de philosophie pour aller travailler en 1934 chez Alstom, puis chez Renault comme fraiseuse à partir de 1935.
C’est donc bien là l’originalité de Simone Weil par rapport à un Virgile par exemple : contrairement au poète romain, Simone Weil a écrit sur le laborum en ayant fait l’expérience elle-même du laborum. Cette différence est fondamentale et elle est aussi particulièrement originale.
L’expérience à l’usine fut particulièrement douloureuse pour Simone Weil, dont nous avions déjà relevé la santé fragile. Vertiges, maux de tête, souffrances au corps, impossibilité d’avoir une certaine vie de l’esprit, une vie intellectuelle, une pensée même humaine durant les heures de travail : Simone Weil a fait toute la douleur de l’expérience industrielle dans les années 30. Son Journal d’usine (absent des pages au programme) relate par exemple cet écœurement, ce dégoût, ses souffrances à la fois physiques et morales. Elle relève aussi l’aspect naïf de son engagement initial (P.284 : « [j’avais une] bonne volonté ridicule », et je me suis aperçue assez vite que rien n’était plus déplacé ».)
De cette expérience, elle tirera bien sûr nombre de réflexions. La Condition ouvrière est ainsi un ensemble de textes écrits à l’aune de cette expérience – mais pas seulement. Il s’agit d’un livre publié en 1951, soit donc 8 années après la mort de Simone Weil : c’est en réalité d’un recueil paru dans la collection dirigée par Albert Camus. Recueil d’articles, du Journal d’usine, de pensées éparses de fragments, de notes, de projets, de lettres à des amis : nous sommes en présence d’une reconstitution fidèle de la pensée de Simone Weil. Le caractère unitaire de l’œuvre peut parfois s’en ressentir ; mais les deux fils rouges importants de l’œuvre de Simone Weil, l’engagement et la recherche de la vérité, peuvent en être des clefs de lecture.
4 – Le travail selon Simone Weil
Quelle conception du travail se perçoit à travers l’œuvre de Simone Weil et les passages au programme ? Il y a, au tout commencement, un soulagement et un bonheur : celui de l’engagement « sur le front », avec ce refus de l’arrière. En 1934, lorsque sa demande de congé de l’Education nationale est acceptée, Simone Weil confie ainsi sa joie profonde : « je le désirais depuis je ne sais combien d’années ». Ce contact avec la réalité est, on l’a vu, central dans la recherche de la vérité pour Simone Weil.
Notons ainsi que Simone Weil évoque, dans son ouvrage, en particulier le negotium ou plutôt le laborum, bien plus que l’otium – le travail de la mule ou de l’esclave, plutôt que celui de l’artiste, du moins principalement.
Cette expérience se terminera dans de sévères désillusions, liées aux douleurs physiques et morales dont Simone Weil fait l’expérience. Sa souffrance ne résulte pas que de sa condition fragile : Simone Weil est ainsi comme choquée que le travail à l’usine soit à ce point déshumanisant et aliénant– la formule est de Marx et elle a bien sûr compté dans la formation de Simone Weil.
Les conclusions de Simone Weil sur le travail portent à la fois sur le corps et l’esprit. D’une part, le travail épuise le corps, si bien que le salut de la personne et du travailleur dépendant de la santé corporelle, finit-elle par penser. C’est cependant sur l’esprit que le choc et les considérations de Simone Weil sont les plus frappantes. Le travail à l’usine est en effet marqué par comme une interdiction de la faculté de pensée, marque de notre humanité. Simone Weil rapproche ainsi la condition de l’ouvrier non pas de l’exploité, mais de l’esclave ou de la « bête de somme ». Cette servitude du travail, qui se caractérise par l’avilissement à la machine et à une cadence informe et souveraine, constitue même un « arrachement à la condition humaine », écrit Robert Chenavier dans l’introduction de l’édition au programme ; « le malheur des autres est entré dans ma chair et dans mon âme », écrit encore Simone Weil.
La condition du travailleur paraît encore pire que celle de l’esclave à Simone Weil, dans la mesure où l’esclave ne trouvait pas des raisons à son auto-aliénation : en effet, l’esclave pouvait toujours se sentir comme prisonnier et captif ; or l’ouvrier paraît parfois trouver des raisons à son aliénation, pécuniaires principalement (c’est pourquoi Simone Weil est vent debout contre les augmentations salariales visant à neutraliser les revendications fondamentales sur la condition des travailleurs). Aucun sentiment de solidarité entre les travailleurs n’existe non plus, ou difficilement, chaque humain étant comme isolé par les conditions du travail, abêti, abruti.
Ce travail servile et avilissant n’était cependant pas pour Simone Weil une fatalité. Pour elle, il s’agissait ainsi moins de remettre en cause le système de gouvernement, que le système de production. La révolution se devait d’être d’abord technique avant que d’être politique : par exemple, en construisant de nouvelles machines qui remettraient l’humanité au centre, sans par exemple cette cadence infernale, sans ce taylorisme déshumanisant.
Simone Weil ne veut pas, à l’inverse de Marx, se débarrasser ainsi du travail : elle veut, la tâche est difficile, en conserver les vertus, d’objectivation et transformation de soi, mais hors du cadre actuel du travail ; en somme, faire jouer le travail conter le travail. « Si sa pensée sur la place du travail est précieuse, c’est parce que nul philosophe avant elle n’avait donné une telle primauté à l’activité laborieuse, au point que, une fois réalisée la forme méthodique et non servile de cette activité dans la société, les lois et les vertus du travail pourraient être transposées dans le domaine politique et dans le domaine spirituel » écrit sur ce sujet Robert Chenavier dans son introduction de l’édition au programme.
Une voie possible de réconciliation entre l’activité spirituelle et le travail serait celle de « l’enracinement » (titre d’un de ses derniers livres), qu’elle considère comme un besoin élémentaire. Or justement, l’usine vise à déraciner l’humain de ses origines, de sa condition même d’humain. Elle rapproche ainsi le déracinement du travailleur avec le déracinement du colonisé, arraché à ses origines, à son ancrage dans une histoire profonde et une humanité partagée et vécue, par le colonisateur. Car pour Simone Weil enfin, l’enracinement était un besoin universel, et vital pour l’âme, celui qui fonde une grande partie de sa philosophie humaniste et engagée.
Simone Weil a quitté un temps son poste d’enseignante de philosophie pour se frotter aux dures réalités de l’usine – jusqu’à affaiblir sa déjà fragile santé.
Michel Vinaver et le capitalisme
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1 – Michel Vinaver, colosse du théâtre contemporain
2 – Le théâtre de Michel Vinaver : entre collages et théâtre d’actualité
3 – Peut-on séparer le patron du dramaturge ?
4 – Le travail dans Par-dessus bord ou le cannibalisme capitalistique
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