CPGE scientifiques 2017-2018 : L’Aventure.
Comment lire les œuvres du programme de français-philo durant l’été ?
[Conseils plus spécifiques pour le programme 2017-2018]
Après les conseils généraux pour préparer votre rentrée en français, voici quelques conseils plus spécifiques sur le thème et les auteurs du programme. Votre lecture sera plus facile si vous adoptez un ordre de lecture pertinent pour soutenir votre motivation et optimiser votre réflexion. Le parcours que je vous propose est pensé en fonction du plaisir de lecture ; pour une relecture totale ou partielle en fin d’été, il serait intéressant de commencer plutôt par Jankélévitch. Les pistes de réflexion et de croisement, les citations intéressantes à relever et à méditer sont nombreuses, en voici quelques-unes, à vous de trouver les autres !
HOMÈRE : L’AVENTURE INSULAIRE, LE PÉRIPLE ANTIQUE FERMÉ (Jank. 195)
Personnellement, je vous conseille de commencer votre aventure de lecteur par le désir lancinant du retour et la lecture de l’Odyssée, œuvre certes la plus longue sur le plan quantitatif mais sans doute aussi la plus simple d’accès et la plus plaisante. Si vous ne l’avez jamais lue en entier, vous découvrirez, avec plaisir je l’espère, cette œuvre majeure de la littérature et de la culture occidentale que l’on ne se lasse jamais de relire tant le texte est magnifique et magnifiquement traduit par Philippe Jacottet, qui en a restitué toute la quintessence poétique. Les nombreux mythes évoqués auront sans doute pour vous la saveur plaisante des souvenirs d’enfance.
Il est bon aussi peut-être, en ce début d’été, de commencer le programme en écoutant le récit de l’aventure de l’Inventif, Ulysse l’endurant, abreuvé de maux, prisonnier dans les brumes de la vaste mer, emporté par les tempêtes et la fureur divine sur le dos énorme des eaux, bien au-delà du monde connu et civilisé, aux confins de l’imaginaire terrifiant de l’homme jusqu’au pays des Cimmériens où il fera remonter, du fond de l’Érèbe, les âmes des défunts, dans un face-à-face terrifiant pour lui comme pour tout mortel avec l’au-delà de la mort.
Dans l’avertissement qui précède et présente sa traduction, le poète Philippe Jaccottet évoque le « lien radieux » (7) par lequel l’Odyssée nous parle encore avec la même fulgurance et la même immédiateté que les Korès de l’Acropole ou les colonnes lumineuses dans l’air cristallin de la Grèce « Quelque chose de ce très vieux poème m’a atteint à travers mon savoir et au-delà de lui, avec une force plus grande que ce savoir et une sorte d’immédiateté. » (La Découverte, 6). Si l’imaginaire que l’œuvre déploie pour raconter les aventures d’Ulysse nous vient en effet du fond des âges, évoquant les temps légendaires de la guerre de Troie, l’âge des héros ou le monde des Cyclopes pré-politique et pré-humain, il nous touche pourtant encore par l’immédiateté d’une vérité , celle des grandes œuvres d’art, en lien avec les structures les plus profondes de notre inconscient et de notre rapport au monde.
Même si la plupart du temps Ulysse subit l’aventure plus qu’il ne la recherche, même si son voyage est tout entier porté par une lancinante nostalgie et l’obsession du retour vers le pays connu et aimé, plus que par la quête fébrile et impatiente de l’inconnu et du nouveau, la lecture de l’Odyssée ainsi que la découverte de cet imaginaire de l’aventure , à la fois antique et intemporel, devraient vous fournir déjà de nombreux éléments de réflexion.
Laissez-vous emporter par la tempête au-delà du bout du monde, au-delà de la zone des confins où vivent les derniers hommes , au-delà du fleuve Océan, pour explorer avec Ulysse un espace poétique à la fois fascinant et menaçant, qui vous conduira à approcher le monde des dieux et celui des morts, à la périphérie de l’humain, dans un monde hostile, sauvage et barbare qui ne connaît pas les lois de l’hospitalité et où les valeurs du monde humain sont en péril. L’aventure, en plaçant l’homme face à la violence brute d’un monde sauvage et naturel, met à l’épreuve son corps, sa force morale, son intelligence, sa piété, et son humanité. Prisonnier de la mer brumeuse, espace normalement sans retour, et de son destin, Ulysse expérimente aussi les limites de sa liberté. Dans ce miroir inversé de la civilisation, l’homme peut éprouver, interroger sa condition et apprendre, comme Ulysse, à habiter de nouveau son nom d’homme en faisant le choix conscient et raisonné de sa mortalité et de son humanité.
Ne pensez pas que seul le voyage d’Ulysse pourra nourrir votre réflexion, observez aussi les personnages et les lieux qui se posent en antithèse de l’espace de l’aventure, analysez par exemple l’attente de Pénélope, le voyage de Télémaque, la sauvagerie brutale du massacre des prétendants et pensez aussi l’œuvre au niveau supérieur de la narration poétique (de l’auteur ou du personnage narrateur).
Selon Jankélévitch, « la création aussi est aventureuse » (115), l’aventure peut ainsi être esthétique et Ulysse incarne sans doute à la perfection, en tant qu’acteur puis narrateur de son aventure, l’aventureux de Jankélévitch, celui qui est à la fois « dedans et dehors », « à la fois extérieur au drame, comme l’acteur, et intérieur à ce drame, comme l’agent inclus dans son propre destin ». Il pourra ainsi illustrer « l’englobement éthique et le détachement esthétique », l’aventure continentale et insulaire, « les deux pôles entre lesquels l’aventure s’échelonne. » (GF, 119 & 121), pôles du sérieux et du jeu qui permettent à Jankélévitch de définir l’essence de l’aventure aventureuse. (chap. 4 : l’Aventure esthétique).
L’œuvre est très riche sur le plan littéraire, sur le plan de la réflexion sur l’aventure et sur l’homme. Ne vous laissez pas charmer par l’aède au point d’en oublier de prendre des marques concrètes pour vous approprier le livre et disposer d’un outil efficace ensuite pour le travail de réflexion et de mémorisation durant l’année (indiquez en haut de page les noms des épisodes, des lieux, des personnages pour les repères narratifs, relevez les citations marquantes, les mots clés pour garder une trace de vos réflexions sur le thème….).
J’espère que vous verrez ainsi se réaliser le souhait formulé par Philippe Jaccottet pour chacun de ses lecteurs : « Que le texte vienne à son lecteur ou, mieux peut-être, à son auditeur un peu comme viennent à la rencontre du voyageur ces statues ou ces colonnes dans l’air cristallin de la Grèce, surtout quand elles le surprennent sans qu’il y soit préparé…..Elles demeurent distantes, mais la distance d’elles à nous est aussi un lien radieux. » (La Découverte, 7)
CONRAD : L’AVENTURE CONTINENTALE.
L’aventure moderne « un voyage rectiligne vers une terre inconnue, terra ignota, vers une contrée étrange et fabuleuse » (Jank., 197)
Le voyage au cœur des ténèbres est tout aussi magnifique et magnifiquement poétique et vous fera entendre, si vous y êtes attentifs, de nombreux échos et contrastes avec l’Odyssée.
La Nelly, le Cotre de Croisière qui attend sur la Tamise le changement de marée pour rejoindre la haute mer « comme au commencement d’un chemin d’eau sans fin » (GF, 77), ne prendra finalement pas la mer à la fin du récit. Mais les passagers comme le lecteur auront pu vivre, grâce au récit de Marlow, la remontée du fleuve Congo, dans la brousse africaine, comme un voyage « en arrière vers les premiers commencements du monde » (122) : « on perdait son chemin sur ce fleuve comme on ferait dans un désert, et on butait tout le jour sur les hauts-fonds, essayant de trouver le chenal, tant qu’on se croyait ensorcelé et coupé à tout jamais de ce qu’on avait connu jadis- quelque part – bien loin -dans une autre existence peut-être. » (123).
Comme dans l’Odyssée, l’aventure est aussi voyage au cœur des ténèbres de l’humanité, descente dans les Enfers de l’Afrique coloniale où les hommes les plus barbares ne sont plus les sauvages sans lois ni même les cannibales.
Attiré par une zone blanche sur une carte, « un espace blanc de délicieux mystère…. devenu lieu de ténèbres » (84), fasciné par un fleuve puissant « qui ressemblait à un immense serpent déroulé, la tête dans la mer, le corps au repos, infléchi sur de vastes distances, la queue perdue au fond du pays » (85), Marlow est d’abord accueilli, dans la cité « sépulcrale » par deux vieilles tricoteuses, « tricotant leur laine noire comme un chaud catafalque », et gardant la porte des Ténèbres » (89). « Ave ! Vieille tricoteuse de laine noire. Morituri te salutant. » (89). Il entame dès lors un « pèlerinage lassant parmi les débuts d’un cauchemar », « où la joyeuse danse de la mort et du trafic se poursuit dans un air torpide et terreux » (94). Il va mener jusqu’au bout l’épreuve de la mort, la sienne redoutée, celle des hommes noirs réduits en esclavage et finalement celle de Kurtz, « spectre initié de l’ultime Nullepart ». (146)
Il fait aussi l’expérience du spectacle de la sauvagerie primitive, ancestrale, incompréhensible et dont il pressent pourtant, avec un frisson d’horreur, aux antipodes de la doxa coloniale, qu’elle est aussi la vérité de l’humanité, « dépouillée de sa draperie de temps » : « La terre semblait n’être plus terrestre. Nous avons coutume de regarder la forme enchaînée d’un monstre vaincu mais là – là on regardait la créature monstrueuse et libre. Ce n’était pas de ce monde, et les hommes étaient – Non, ils n’étaient pas inhumains. Voilà : voyez-vous, c’était le pire de tout – ce soupçon qu’ils n’étaient pas inhumains. » (126).
Le récit de Conrad, comme celui d’Homère, illustre l’expérience du voyage aventureux présentée par Jankélévitch comme un voyage vers cet « au-delà de la zone mitoyenne, de cette zone des mélanges qui est aussi la zone de l’optimum biologique, celle où l’homme vit et respire le plus confortablement, mais dans laquelle, n’étant ni ange, ni bête, il mène l’existence la plus bourgeoise et la plus casanière ». (Jan, 157). Et ces voyages vers les extrêmes géographiques ou humains, sont aussi des voyages vers l’extrême absolu que représente la mort pour tout être mortel « La mort est ce que l’on trouve lorsque l’on creuse jusqu’à l’extrémité de l’humain, jusqu’au rebord aigu et indépassable d’une expérience » (Jank., 151). Or, selon Jankélévitch, c’est bien la mésaventure de la mort qui est l’enjeu implicite de toute aventure authentique « Une aventure, quelle qu’elle soit, même une aventure pour rire, n’est aventureuse que dans la mesure où elle renferme une dose de mort possible. » (143) (chapitre 3 : l’Aventure mortelle).
Pour ce récit encore, ne vous laissez pas charmer par le narrateur, gardez votre esprit critique en éveil, marquez le texte par des repères narratifs, relevez les citations, notez vos réflexions, en particulier les croisements et contrastes déjà pressentis avec l’Odyssée. Il faut comparer les deux voyages et les personnages qui vivent, ressentent et racontent l’aventure.
JANKÉLÉVITCH : « L’AVENTURE EST PÉNINSULAIRE »
« L’aventure est insulaire par son commencement, continentale par sa terminaison. » (213)
La lecture de Jankélévitch, à mon sens tout aussi passionnante, va éclairer et préciser rétrospectivement celle des œuvres d’Homère et de Conrad. Evidemment, la lecture d’un raisonnement philosophique conceptuel et abstrait demande une autre forme d’attention, une autre posture de lecture que celle d’une œuvre narrative.
L’écoute est désormais d’abord intellectuelle, il faut suivre la pensée, identifier les idées majeures qu’elle pose et démontre, repérer les exemples, les digressions, les différentes étapes du raisonnement pour pouvoir garder une vision synthétique et panoramique de sa progression.
– Soulignez les phrases qui vous semblent énoncer des idées essentielles.
– Surlignez les expressions fondamentales, emblématiques, qui résument la pensée.
– Distinguez par une autre couleur les articulations logiques qui marquent les étapes du raisonnement et les exemples utilisés pour illustrer les idées.
– Notez en haut de page les termes, concepts, exemples essentiels que vous retrouverez ainsi facilement.
Les éditions Garnier Flammarion ont eu l’excellente idée d’adopter une présentation très aérée, qui facilite votre lecture en vous évitant d’être écrasés par un texte trop compact et dense et vous permet d’être plus attentifs au détail d’un texte effectivement particulièrement riche.
La pensée de Jankélévitch est claire, fluide parfaitement structurée, très littéraire aussi dans la beauté de l’écriture et dans la quête des mots, des références et des images qui permettront d’exprimer parfaitement l’idée, en cela la quête du philosophe rejoint celle du poète et du romancier.
Il s’agit pour lui de définir l’essence de l’aventure authentique en explorant sa temporalité privilégiée, son caractère essentiellement ambigu, oscillant à l’infini :
-entre certitude et incertitude, entre une temporalité destinale pesante et fermée et « l’horizon exaltant de l’espoir : ce qui sera dépend de notre liberté ». (GF,97)
-entre horreur et attrait pour l’homme « passionné par la passionnante insécurité de l’aventure, par le passionnant aléa de l’avenir ». (107)
-entre jeu et sérieux, passe-temps dérisoire et tragédie, caractère « continental » et caractère « insulaire » « si vous supprimez l’élément ludique, l’aventure devient une tragédie et si vous supprimez le sérieux, l’aventure devient une partie de cartes, un passe-temps dérisoire et une aventure pour faire semblant » (119) ; « Si la perception esthétique est insulaire, et si la perception sérieuse est « continentale », comment appellerons-nous maintenant l’aventure ?Peut-être faudrait-il dire qu’elle est péninsulaire ; elle est comme une presqu’île à condition de donner au Presque son sens amphibolique. » (GF, 211).
Entre ces deux pôles du sérieux et du jeu, Jankélévitch explorera « les cas où le sérieux prévaut » (chapitre III : L’Aventure mortelle), « les cas où c’est le jeu qui l’emporte » (Chapitre IV : L’Aventure esthétique) et « ceux enfin où jeu et sérieux renvoient l’un à l’autre, à l’infini » (Chapitre V : L’Aventure amoureuse « l’aventure purement et simplement, l’aventure absolument », 222).
L’œuvre est truffée de références philosophiques, littéraires, musicales qu’une rapide recherche sur internet vous permettra d’éclairer et que vous pouvez explorer par d’autres lectures ou écoutes. Facilitant votre travail de croisement, Jankélévitch mentionne à plusieurs reprises le personnage d’Ulysse « aventurier par force, casanier par vocation, ses pérégrinations, à cet égard, sont des aventures un peu bourgeoises. » (191) qu’il oppose au personnage de Sadko et à sa randonnée mystique « Quand il se sépare de sa Pénélope à lui, nommée Lioubava, c’est sans esprit de retour. » (203), références qui lui servent également à définir l’aventure esthétique par rapport à l’art et aux œuvres d’art « L’aventure a des points communs avec l’art, sans être l’art lui-même. » (213).
Cette lecture remettra en perspective la lecture d’Homère et de Conrad, jusque dans la définition de l’aventure amoureuse et dans la distinction entre l’aventure « imminente » telle que la vivent les femmes dans une attitude d’ « expectative passionnée » (267) en attendant que l’avenir advienne et l’aventure « urgente » telle que la vivent les hommes en sollicitant « la fécondité du surprenant, du merveilleux hasard » (265), en allant au-devant du futur pour « solliciter, hâter, guider la futurition ». (269)
Il faudra lire attentivement les dernières pages conclusives pour comprendre le sens et l’enjeu ultime de cette réflexion philosophique sur l’Aventure « Pourquoi l’Aventure ? Et à quoi bon philosopher sur elle ? » (285), « En quoi l’Aventure est-elle caractéristique de notre modernité ? » (289). Il faudra méditer aussi sur la référence ultime à la Ronde de nuit de Rembrandt qui devrait elle-même éclairer votre lecture de l’ensemble du programme : « L’homme de lumière, c’est le principe du temps qui indique à la ronde nocturne le chemin de l’Aurore » (309), « L’homme de lumière, l’Ulysse des temps modernes, désigne l’entr’ouverture de la vie, l’entrevision de l’infini » (309)
C’est donc entre île et continent, lumière et obscurité, jeu et sérieux, ouverture et clôture, liberté et ronde du temps destinal, « entre les pôles nord et sud de notre existence empirique » (Jank. 157), qu’il faudra scruter le programme pour approcher au plus près l’essence de l’aventure comme un « complexe de contradictoires » (Jank. 105).
J’espère que, selon le vœu de Jankélévitch, cette exploration croisée vous convertira au caractère insolite de l’aventure et de l’instant et vous réconciliera avec le devenir : « L’homme converti au caractère insolite de l’instant, s’émerveille de trouver l’aventure dans la vie la plus quotidienne. » (Jank. 299), cette aventure qui « déblaye en plein réel des oasis de ferveur et d’intensité, redonne vie à l’instant picaresque, exalte le délicieux décousu de l’existence. » (295)
Bon voyage et bonne lecture !
Caroline Caffier, Professeur de français en CPGE scientifiques et littéraires au lycée Faidherbe de Lille
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