Pour l’étude de ce programme seront analysées ces 3 œuvres sur la force de vivre :
- La Supplication de Svetlana Alexievitch, « J’ai lu »
- Le Gai Savoir, Avant-Propos + Livre 4, de Nietzsche, GF, Traduction Wotling,
- Les Contemplations, Livres 4 et 5, Victor Hugo (édition libre).
Retrouvez sur notre blog les 2 articles complémentaires, traitant de l’analyse de 3 citations du Gai Savoir en prepa et 3 citations issues des Contemplations en prépa scientifique.
Lire aussi : citations issues du Gai Savoir en prépa scientifiques
La foi communiste : « Monologue sur les symboles d’un grand pays »
Citation 1, La supplication au programme de français en prepa (P.163 de l’édition au programme) :
« Monologue sur les symboles d’un grand pays »
« Voici les réponses à vos questions : pourquoi avons-nous gardé le silence alors que nous savions ? Pourquoi n’avons-nous pas crié sur la place publique ? Nous avons fait des rapports, écrit des notes explicatives, mais nous nous sommes tus. Nous avons obéi sans un murmure parce qu’il y avait la discipline du parti, parce que nous étions communistes. Je ne me souviens pas qu’un seul des employés de l’Institut ait refusé d’aller en mission dans la zone. Pas par peur d’être exclu du parti. Parce qu’ils croyaient. C’était la foi de vivre dans une société belle et juste. La foi que l’homme, chez nous, était la valeur suprême. Pour beaucoup de gens, l’effondrement de cette foi s’est soldé par des infarctus et des suicides. »
Marat Philippovitch Kokhanov, ancien ingénieur en chef de l’Institut de l’énergie nucléaire de l’Académie des sciences de Biélorussie.
Pourquoi cette première citation est importante et comment peut-on la faire dialoguer ?
Où donc les « liquidateurs », et même les habitants des zones contaminées de Tchernobyl, ont trouvé non seulement la force de vivre dans cet environnement hostile et angoissant, mais encore la force de soutenir le mensonge, la volonté de croire dans le discours officiel des autorités ? La réponse se trouve dans cet extrait : la foi dans le communisme. Cette foi va au-delà d’une simple vulnérabilité face à la propagande ; elle trouve sa source dans une détermination politique profondément ancrée, celle de la fierté d’appartenir à un régime communiste, celle de l’illusion auto-persuasive.
Notez que l’auteur de ces lignes est un homme de science et de raison (Marat Philippovitch Kokhanov, ancien ingénieur en chef de l’Institut de l’énergie nucléaire de l’Académie des sciences de Biélorussie) : ainsi, la foi communiste peut apparaître comme une foi « rationnelle » en apparence, non-religieuse ; mais en vérité, le « credo » rouge renvoie aux mêmes mécanismes qu’une religion dans la force de vivre : la volonté de croire, à tout prix, malgré les signes contraires ; enlevez la religion, vous obtenez les peines et les souffrances. Cette foi communiste n’est pas forcément qu’imposée par la propagande : elle peut être aussi à partir d’une véritable conviction.
Ainsi, le rapport au religieux de Victor Hugo pourra être mis en perspective avec cette « religion communiste » dans une dissertation, les deux phénomènes renvoyant à des mécanismes identiques. Une belle ouverture peut être en la matière un autre ouvrage d’Alexievitch, La fin de l’homme Rouge, livre dans lequel la foi communiste est plus amplement décrite ; cette « religion rouge », c’est aussi celle que l’on aperçoit bien dans la série Chernobyl.
La citation (P.125) : « Monologue à deux voix pour un homme et une femme »
« De mon point de vue, je qualifierais ce comportement de fatalisme léger. Par exemple, la première année, il était interdit de consommer ce qui poussait dans les potagers. Et pourtant, non seulement les gens en ont mangé, mais ils en ont même fait des conserves. De plus, la récolte était extraordinaire ! Comment expliquer que l’on ne peut pas manger ces cornichons ou ces tomates… Cela veut dire quoi : on ne peut pas ? Leur goût est normal et ils ne donnent pas mal au ventre… Et personne ne “brille” dans l’obscurité… Pour changer leur plancher, nos voisins ont utilisé du bois local. Ils ont mesuré : la radiation était cent fois supérieure à la normale. Vous croyez qu’ils ont démonté ce parquet pour le jeter bien loin ? Pas du tout, ils ont vécu avec. Les gens se disent que tout cela va se calmer et finir par s’arranger tout seul. »
Nina Konstantinovna (enseignante de littérature)
Importance de cette seconde citation et comment l’utiliser ?
La force de vivre peut se trouver dans la foi communiste ; elle peut aussi se trouver dans un sentiment moins politique, plus diffus, moins marqué mais peut-être plus puissant en ce qu’il est imperceptible. Ce sentiment est celui qui est décrit dans ce passage : le « fatalisme léger ».
Les personnes, tout simplement, ne se posent pas trop de questions ; prennent Tchernobyl avec ses avantages (les récoltes multipliées) sans en questionner l’origine. Il existe ainsi une certaine forme de sérénité tacite, une force de vivre passive, qui cadre bien avec le danger radioactif : car celui-ci est invisible et ne perturbe pas l’ordinaire. Dès lors, pourquoi s’alarmer ?
Ce « fatalisme » n’est cependant pas si « léger » pour d’autres témoins. Certains évoqueront un « fatalisme soviétique » : le peuple soviétique a tant souffert, des famines de Staline, de la Seconde Guerre mondiale, qu’il se serait comme habitué à la souffrance. Dans une copie, il sera ainsi intéressant d’étudier la distinction entre le « fatalisme de l’ordinaire », consubstantiel à l’être humain, et un fatalisme ancré dans la culture soviétique. De même, le fatalisme des témoins de La Supplication pourra dialoguer utilement avec toutes les évocations de la « destinée » faites par Victor Hugo.
L’alcool comme échappatoire dans La Supplication :
La citation (P.191) : « Monologue sur ce qu’il faut ajouter à la vie quotidienne pour la comprendre »
« La vodka était plus appréciée que l’or. Il était impossible d’en acheter. Nous avons bu tout ce qu’on pouvait trouver dans les villages des alentours : tord-boyaux, lotions, laques, sprays… On posait sur la table un récipient de trois litres de tord-boyaux ou un sac rempli de flacons d’après-rasage et on causait… On causait. Il y avait parmi nous des profs et des ingénieurs… »
Victor Latoun, photographe
Pourquoi cette citation est intéressante et comment doit-on l’analyser ?
Comment « tenir le coup » ? Certains habitants n’y vont pas par quatre chemins : l’alcool. L’alcool permet en effet d’oublier ses soucis, de se rapprocher de l’autre, de s’évader un instant de la réalité, pour se plonger dans une autre réalité, un autre univers, plus familier et distrayant. La vodka est notamment une boisson très appréciée de la région, comme elle l’est plus généralement dans l’univers russe, de la Pologne à l’Asie centrale. La zone Tchernobyl ne fait pas exception : il existe ainsi un certain problème d’alcoolisme parmi les habitants. Mais si ce problème d’alcoolisme n’a pas été créé, sûrement, par le réacteur nucléaire, gageons qu’il aura été aggravé, les autorités distribuant même parfois de l’alcool pour gagner la paix.
Ce passage nous indique d’ailleurs qu’il ne faudra pas, pour le candidat, rechercher forcément les raisons de la « force de vivre » dans des motifs nobles (l’amour, la justice, la volonté de vérité…). Certains motifs sont purement matérialistes : l’alcool donc, mais aussi tout simplement l’appât du gain.
Dans une dissertation portant sur la résistance physique du corps (un thème aussi très présent dans Nietzsche), le corps affaissé, alcoolisé, de celui des habitants de la « Zone », pourra être employé à bon escient.
Ulysse Grasset
Ancien élève de prépa Khâgne A/L à Louis Le grand, diplômé de l’ENS Ulm et d’HEC, je contribue au blog de Groupe Réussite et je donne des cours particuliers de français aux élèves de prépa.
Pour vous préparer efficacement à l’épreuve de dissertation en français aux concours post-prépa, utilisez, en complément des citations commentées sur les œuvres de français sur la Force de la Vivre nos dissertations corrigées sur le thème de la force de vivre :
- CPGE : Dissertation corrigée sur la religion et la force de vivre
- CPGE : Dissertation corrigée sur l’universalité de la souffrance et la force de vivre
- CPGE : Dissertation corrigée sur le pouvoir de la culture et de l’art dans la force de vivre
- CPGE : Dissertation corrigée sur la force de vivre et l’engagement politique
- CPGE : Dissertation corrigée sur le matérialisme dans la Force de Vivre
- CPGE : Dissertation de la Force de Vivre sur la solitude et la souffrance
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Le « fatalisme léger » tchernobylien, dans La Supplication :