Sujet de la dissertation sur la Force du Matérialisme :
A l’appui des œuvres au programme de français et philo sur la force de vivre en prepa, vous interrogez la citation suivante du philosophe matérialiste Julien Offray de La Mettrie : « Prends donc le bon temps quand et partout où il vient. Jouis du présent, oublies le passé et ne crains point l’avenir. (…) Enfin, puisque tu n’as point d’autres ressources, tires-en parti : bois, manges, dors, ronfles, rêves, et si tu penses quelquefois, que ce soit comme entre deux vins, et toujours ou au plaisir du moment présent. (…) » Ceci constitue un exemple de dissertation que vous pourriez traiter en cours de français durant l’année de CPGE.
Introduction de la dissertation : plaisirs de l’âme, sagesses du corps
[Accroche] Le philosophe épicurien Démocrite professait ceci : « Le bonheur réside non pas dans les possessions ni dans l’or, le sentiment du bonheur se ressent dans l’âme. » Or cette citation de Julien Offray de La Mettrie prend à rebours la vision de Démocrite. Car contrairement à ce que peut penser l’opinion commune, les épicuriens, comme Démocrite ou Lucrèce, prônaient un mode de vie réglé, sans excès, afin d’atteindre l’ataraxie (une existence sans troubles, sans soucis).
[Analyse du sujet] La Mettrie adopte lui une position matérialiste que l’on pourrait décrire comme un hédonisme maximaliste et radical. En effet il s’inscrit résolument dans une philosophie de l’excès, de l’abondance, de la jouissance dans tout ce qu’elle a aussi de plus matériel, voire de plus bas « bois, manges, dors, ronfles… (…) entre deux vins…). » Il tire des conséquences morales de cette « ordonnance » du bonheur physique : le souvenir n’est plus un devoir (« oublies le passé »), et il faut même oublier ce que les Romains nommaient la gravitas, la dignité (« ronfles… »). Voici pourquoi d’ailleurs la philosophie de La Mettrie fut jugée, par ses contemporains, comme scandaleuse.
Pour La Mettrie, cette philosophie hédoniste se justifie parce que l’homme n’a « point d’autres ressources » dans la vie que ces plaisirs physiques (autrement dit : pas l’art, et pas la religion, ce qui posait plus encore problème à l’époque). Pour atteindre le bonheur qui est une forme de jouissance sensorielle, il s’agit plutôt de se construire des ailleurs, des paradis matérialistes, voire artificiels (les rêves, l’alcool du vin). Il est ainsi permis d’atteindre une certaine « force de vivre » par un « laissez-vivre ».
La Mettrie nous invite ainsi à mettre en balance les philosophies hédonistes et les philosophies plus « morales », comme l’épicurisme ou le stoïcisme – l’ouvrage duquel est tiré cette citation est d’ailleurs titré L’Anti-Sénèque, du nom du grand philosophie stoïcien de l’Antiquité romaine.
[Problématique] Effectivement, au vu des souffrances de la vie, celles des deuils, des catastrophes nucléaires, n’est-il pas concevable de se créer des paradis artificiels ? Cependant, paradoxalement, la souffrance bien comprise, le souvenir des autres aussi, ne sont-ils pas une source de résilience ? Et les plaisirs de l’esprit, ceux de l’art notamment, n’ont-ils pas une force certaine que semble négliger La Mettrie ? Du reste, il s’agit de s’interroger sur les conséquences possibles de cette philosophie hédoniste maximaliste portée par La Mettrie : que deviendrait une société où chacun serait ivre, où le souvenir ne serait plus un devoir ? En somme, il s’agit de se demander si la force de vivre, la résilience, sont plus d’origine physique que morale ; si le bonheur vient du corps, ou de l’esprit.
[Annonce de plan] Pour ce faire, il s’agit tout d’abord d’interroger les bienfaits du matérialisme de La Mettrie pour alléger la souffrance de vivre. Et en effet, l’alcool, le rêve, l’oubli du passé, créent des univers autres, artificiels, où l’on peut se réfugier pour fuir la souffrance de la réalité, pour trouver des ailleurs plus apaisants. Cependant le souvenir peut aussi être une source de résilience, en même temps qu’un devoir moral, et le tout matérialisme mener à une dépendance nuisible – sans compter qu’il existe aussi une résilience, une sagesse à tirer de la douleur. La force de l’âme peut ainsi donner une force de vivre. En définitive, ces considérations davantage stoïciennes qu’hédonistes peuvent nous conduire à relativiser ce dualisme faisant soit du corps, soit de l’esprit, la seule source de résilience : c’est plutôt d’un monisme (union) corps/esprit, où la philosophie rejoint la physiologie, qui donne la force de vivre.
Partie 1 de la dissertation, les plaisirs de l’âme, sagesses du corps
[I] Il est certes utile et nécessaire, pour se donner une certaine force de vivre, de se créer des paradis matériels et artificiels : que ce soit par l’alcool, que ce soit par le rêve, que ce soit en effet par l’oubli du passé et la jouissance du moment présent, l’hédonisme prôné par La Mettrie semble aider à supporter les souffrances de la vie.
[I-1] L’alcool, en créant des portes vers l’ailleurs, en détournant l’esprit de la souffrance présente, est tout d’abord une voie possible pour alléger la souffrance. L’alcool occupe une large place dans la citation de La Mettrie. « Bois » lance le philosophe, avant de surenchérir : « et si tu penses quelquefois, que ce soit comme entre deux vins ». Ainsi toute pensée construite pour lui ne peut se concevoir que dans un état d’ivresse, c’est-à-dire dans un état de semi-inconscience qui fait divaguer la pensée, comme s’il ne fallait pas penser à la vérité, comme s’il fallait se créer des ailleurs.
[Exemple] Et de fait dans La Supplication de Svetlana Alexievitch, l’alcool est un adjuvant essentiel à bien des habitants pour oublier la souffrance. C’est ce que dit par exemple le journaliste Anatoli Chimanski, dans le « Monologue sur une chose totalement inconnue qui rampe et se glisse à l’intérieur de soi », avec cet aphorisme révélateur : « Le conte le plus populaire de la zone : le meilleur remède contre le strontium et le césium est la vodka Stolitchnaïa ». Nombreux sont en effet les personnages à « boire pour oublier » la peur, le stress, la souffrance, le deuil. C’est aussi le cas d’un membre du « chœur des soldats », qui confie : « Et puis, on buvait… Vous savez, la vodka, ça aide… Elle enlève le stress. Il y avait bien une raison si, pendant la guerre, on distribuait aux soldats ce fameux verre de vodka, avant l’attaque… » En somme l’alcool permet de se transporter vers des ailleurs plus confortables, plus supportables. Le rêve joue également le même rôle.
[I-2] En effet, le rêve a la même force que l’alcool : transporter vers un ailleurs plus apaisant, pour fuir une réalité angoissante. Cette force du rêve et du sommeil est évoquée par La Mettrie dans sa citation (« ronfles, rêve »…) et elle apparaît utile dans les œuvres au programme, car par le rêve, on se crée un autre univers intérieur, où la souffrance n’a pas droit de cité.
[Exemple] Le rêve peut ainsi jouer un rôle rassurant et apaisant, comme pour retrouver une normalité perdue, pour les habitants de la zone contaminée près de Tchernobyl. C’est ainsi ce que confie l’un des villageois de Belyï Bereg, du district Narovlianski de la région de Gomel dans une citation de l’œuvre de Svetlana Alexievitch, La Supplication. Un habitant confie que le rêve est un moyen de retrouver une normalité perdue et ainsi de se rassurer, de retrouver même quelque joie : « Chaque nuit, je voyais ma maison en rêve. Je revenais et tantôt je travaillais dans le potager, tantôt je rangeais à l’intérieur… Et je trouvais toujours des choses : une pantoufle, des poussins… Ce sont des présages de joie. » Le rêve comme l’alcool ont ainsi une utilité claire pour retrouver une force de vivre : celle d’oublier le passé douloureux pour se forger un présent certes artificiel, mais au moins apaisant. L’oubli du passé joue alors un rôle majeur qu’il s’agit d’explorer plus avant.
[I-3] En effet le passé est douloureux, parfois plus encore que le présent, tant il est marqué du sceau des deuils et des souffrances, La Mettrie nous invite à oublier ce passé pour vivre dans une forme de présentisme : « Jouis du présent, oublies le passé et ne crains point l’avenir (…) et toujours ou au plaisir du moment présent. ». Cette force apaisante de l’oubli est-elle vraiment salutaire ?
[Exemple] Nietzsche y accorde quoi qu’il en soit une large place dans sa philosophie et plus particulièrement dans le Gai Savoir, notamment dans le §337. À travers cette citation du Gai Savoir de Nietzsche, le lecteur est invité à ne pas vivre avec le poids du passé, au risque de ressentir « toute l’affliction du malade qui pense à la santé, du vieillard qui pense au rêve de sa jeunesse ». Il faut au contraire vivre en héros, saluer l’aurore, « comme un second jour de bataille. » Dans le § 304, Nietzsche invite pareillement à vivre dans le présent, à aller vers l’action : car l’homme supérieur vit moins dans la durée que dans la réalisation de soi.
[Exemple 2 possible]. Oublier le passé pour se concentrer sur l’action présente est d’autant plus essentiel, que le souvenir est aussi une source puissante de souffrance. C’est bien sûr le souvenir du deuil et de la perte de Léopoldine pour Victor Hugo. Dans le poème « Paroles sur la dune » du Livre V, une citation des Contemplations de Victor Hugo rappelle que « le souvenir est voisin du remords » ; quand il repense à sa fille, le philosophe replonge dans cette affliction qu’évoquait Nietzsche : « Comme à pleurer tout nous ramène ! / Et que je te sens froide en te touchant, ô mort, /Noir verrou de la porte humaine ! »
[Transition] Mais le souvenir n’est-il pas aussi un devoir moral ? Peut-on imaginer Victor Hugo oublier Léopoldine ? Mieux, le souvenir est aussi ce qui permet une forme de catharsis, ce que fait effectivement Victor Hugo en écrivant Les Contemplations. Il devient ainsi une source, non de souffrance, mais de résilience. Il faut donc interroger les limites d’un bonheur qui serait (celui de La Mettrie) purement corporel ; qui oublierait le passé et les apports de l’âme.
L’intégralité de cette dissertation sur la citation de La Mettrie est à retrouver sur l’application mobile gratuite PrepApp. Des cours en ligne, des exercices et des annales sont également accessibles pour les étudiants de prépa scientifiques.
Ulysse Grasset
Ancien élève de prépa Khâgne A/L à Louis Le grand, diplômé de l’ENS Ulm et d’HEC, je contribue au blog de Groupe Réussite et je donne des cours particuliers aux élèves de prépa.
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