À l’appui des œuvres au programme de français/philo en prepa scientifique, vous interrogez la citation suivante :
« Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance. Il n’est même pas venu l’expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence. »
Introduction de dissertation sur la religion et la force de vivre
« Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Évangile selon Matthieu, 27 :46). Ces derniers mots de Jésus-Christ sur la croix, selon les Évangiles, ont longtemps résonné comme l’impossibilité de comprendre, pour un chrétien, le sens de la souffrance : car comment un Dieu tout-puissant et souverainement bon, pourrait laisser souffrir les siens ?
C’est à cette tentative d’explication qu’essaie de se livrer Paul Claudel, dans un exemple de didactisme religieux : pour ceux qui peinent à trouver la foi, il tente d’éclaircir une vieille problématique, celle de la persistance de la souffrance dans un monde pourtant créé et dirigé par un Créateur bon et juste, c’est-à-dire Dieu (qui, dans la perspective de Claudel, doit être compris comme le Dieu des chrétiens). Pourquoi l’homme continue à souffrir malgré la présence de Dieu ? Parce que la souffrance a été voulue par Lui, y répond la tradition catholique, pour punir l’homme de ses péchés. Le rapport à la souffrance de Dieu est ainsi teinté d’une certaine passivité pour Claudel : il n’est pas venu la « supprimer », ni même « l’expliquer » : c’est-à-dire qu’il ne peut pas même y donner sens, en donner les motivations, les raisons et les buts profonds. C’est à l’homme qu’il revient de trouver les raisons de sa souffrance. Claudel réussit ainsi à concilier un paradoxe apparent : la souffrance dans un monde créé par un Être bon, juste et parfait.
Cette citation de Claudel nous conduit ainsi à nous interroger sur le rôle et le sens de Dieu – et par-delà, du sentiment religieux – face à la souffrance. Dieu peut-il être comme un baume apaisant par sa simple souffrance ? À quelles conditions peut-on comprendre son message ? L’impuissance apparente du secours de Dieu face à la souffrance, n’est-elle pas pour autant un motif de doute voire d’exaspération ?
[Problématique] Ainsi, nous nous demanderons, à la lumière des œuvres au programme, dans quelle mesure, et sous quelles formes, la « présence » de Dieu peut possiblement soulager la souffrance ; et si au contraire, il n’est pas nécessaire de lui trouver des alternatives répondant au même besoin de « présence ».
[Annonce de plan] L’assertion de Claudel prend à rebours la conception commune : en effet, y compris dans les œuvres au programme, la présence de Dieu est plus qu’une présence ; elle est une source de consolation, de compassion, d’explication face à la souffrance. Mais cette présence de Dieu n’est pas toujours assurée, ce qui peut mener au doute, à la révolte même ; confrontée à l’absence de Dieu, l’homme est alors plongé face au néant, ce qui mène à une forme d’angoisse métaphysique. C’est alors le « vide de Dieu » qu’il faut remplir : non pas forcément par la religion, mais par une forme de présence, qui fait écho au besoin de lien de la religion (qui provient de « religere », relier) ; et ce besoin de lien peut être comblé par d’autres voies, par la politique, l’amitié, ou la nature.
Partie 1 de la dissertation sur la religion et la force de vivre
[I.A l’inverse de ce que semble avancer Claudel, la présence de Dieu peut ne pas se limiter à une seule présence. En effet, elle est possiblement une source de consolation, de compassion, et d’explication.]
[I.1.] Dieu peut tout d’abord « aider » celui qui souffre en étant une source de consolation, en consolant l’homme sur le sort qui attend tout être humain, en apaisant aussi le deuil et la douleur de la mort. Il est donc ainsi tout à fait normal, pour ceux qui souffrent, de chercher un apaisement en se réfugiant dans la religion.
[Exemple]. C’est cette attitude que nous pouvons en particulier percevoir parmi les habitants de la zone de Tchernobyl, dont nombreux sont ceux, malgré la censure et les vexations du régime communiste, à se tourner vers Dieu pour soulager leur souffrance. Du reste, le titre original de La Supplication, signifie « La Prière de Tchernobyl, chronique du futur ». La supplication était elle-même un rituel dans la religion romaine, pour demander une grâce ou une faveur. La lecture de l’œuvre confirme cette lecture du titre. Ainsi, une des personnages du roman, Nadejda Petrovna Vygovskaïa, évacuée de la ville de Pripiat (dans le « Monologue sur ce que nous ignorions : la mort peut être si belle »), confie à Svetlana Alexievitch qu’elle se rend régulièrement à la « chorale de l’Église » où elle y lit l’Évangile. « Je vais à l’église parce qu’on y parle de la vie éternelle » dit-elle. « C’est réconfortant pour les gens. On n’entend pas de tels mots ailleurs et j’ai tellement besoin d’être consolée. » Ainsi dans cette citation de La Supplication, on voit-on bien le pouvoir consolateur de la présence de Dieu. En plus d’être une source d’explication, la religion peut de même être une source de compassion.
[I.2.] En effet il existe un pouvoir compassionnel de la présence de Dieu. « Compatir » veut dire, étymologiquement », « souffrir ensemble » (pathos signifie souffrance). C’est ainsi que la présence de Dieu, si elle a lieu, permet de partager la souffrance, de la rendre ainsi plus supportable.
Dès lors selon Nietzsche – qui combat fermement cette conception, mais qui pense ainsi relayer les mentalités de son époque – la religion (chrétienne) est essentiellement une religion du pathos, de la compassion, Dieu étant le compagnon de la souffrance, altérant la volonté de vivre et l’affirmation de la vie chez ceux qui y croient. Cette conception de Nietzsche se perçoit en particulier dans une citation du Gai Savoir au paragraphe 338, où le philosophe examine ce qu’il appelle la « religion de la pitié », promue notamment par le christianisme. Cette « religion de la pitié » pousse chacun à compatir au malheur de son semblable ; elle est d’ailleurs voisine de la « religion du bien-être » ou du « confort » le lien entre compassion et moindre souffrance étant alors établi. Cette religion, qui est celle des « confortables et des gentils », ignore qu’on ne doit pas justement montrer d’empathie envers nos frères, nos amis : car les malheurs, les privations, les terreurs sont riches d’enseignements. Il n’en demeure pas moins que dans l’opinion commune que relaie ici Nietzsche pour la combattre, la présence de Dieu est bien source d’apaisement par la compassion.
[I-3] Source de consolation, de compassion (ce qui peut aider à « supprimer la souffrance » pour reprendre la citation de Claudel) la présence de Dieu peut aussi être une source d’explication du monde – là encore, la pensée de Claudel peut donc être de prime abord relativisée.
La présence de Dieu est en effet une nécessité pour expliquer les malheurs du monde, le sens donné à la souffrance, et d’une manière générale le destin ou la nature de l’humanité. C’est ainsi que de nombreux témoins interrogés par Svetlana Alexievitch dans La Supplication se tournent spontanément vers Dieu – le retrouvant après des années passées à respecter l’athéisme d’État – pour demander des explications aux malheurs du monde. Dans l’esprit de ces personnes, la religion chrétienne prend alors le relais de la grille d’interprétation et d’explication communiste, qui n’est plus valable en soi depuis que le régime a prouvé sa vacuité et sa dangerosité. C’est ce qui explique « qu’un Russe a toujours besoin de croire en quelque chose », pour reprendre le titre de la sous-partie dans laquelle témoigne l’historien Alexandre Revalski. Dans cet extrait, Revalski détaille bien que le « paganisme soviétique » avait amené à considérer l’homme comme la « couronne de la création » (titre d’une des trois grandes parties du livre), et qu’il était ainsi amené à « faire ce qu’il voulait dans la planète ». Mais Tchernobyl a renversé cette grille interprétative, montrant bien l’impuissance de l’homme ; et c’est alors que de nombreux habitants se sont tournés vers Dieu. Ressort, de ce témoignage, une nécessité de la religion comme tentative d’explication du monde.
[Transition vers le II.] Dès lors, pour prendre le contre-pied inaugural de la citation de Claudel, la présence de Dieu peut bien, en effet, dépasser la simple « présence » et être une source à la fois de consolation, de compassion et d’explication. Cependant, cette triple fonction divine est loin de toujours suffire, de toujours être satisfaisante. En particulier, le fait qu’un Dieu tout-puissant et souverainement bon autorise les malheurs du monde, ne les bloque pas, mène à l’incompréhension, au doute, au scepticisme. C’est donc maintenant cette impuissance de Dieu, l’incomplétude de ses réponses, qu’il faut examiner.
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Ulysse Grasset
Ancien élève de prépa Khâgne A/L à Louis Le grand, diplômé de l’ENS Ulm et d’HEC, je contribue au blog de Groupe Réussite et je donne des cours particuliers de français aux élèves de prépa.
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Dieu n’est cependant pas totalement « inactif » : il est venu, dit Claudel, « remplir de sa présence » la souffrance. Qu’est-ce à dire ? La « présence » de Dieu peut se manifester de plusieurs manières, qui se reflètent dans les œuvres au programme du thème de français en prepa sur la force de vivre : la forme de manifestation la plus vive est bien sûr le miracle, l’apparition ; mais on peut aussi sentir la « présence » de Dieu à travers la méditation, la « contemplation » (terme d’origine religieuse), la réflexion. On peut trouver Dieu par la pensée.