À l’appui des œuvres au programme de français en prépa scientifique sur le Force de Vivre, vous interrogez la citation suivante tirée de Splendeurs et Misères des Courtisanes du romancier Honoré de Balzac :
« La solitude est la souffrance multipliée par l’infini. »
Introduction de la dissertation sur la solitude et la souffrance
[Accroche] Dans son La Politique, Aristote estime que l’homme est par nature un « animal politique » : il entend par là que l’homme est naturellement porté à vivre en société. Par conséquent, tout individu qui tendrait à s’isoler de ses semblables, poursuit Aristote, serait « soit une bête soit un Dieu ».
[Définition des termes du sujet] Cette vision de l’homme vivant nécessairement en société, est prolongée dans cette citation du romancier français du XIXe siècle, Honoré de Balzac. Avant toute chose, il convient de préciser que Balzac était un romancier de la société par excellence : dans la Comédie humaine, il entendait ainsi dresser un véritable tableau de la société de son temps et « faire concurrence à l’état-civil » ; par nature donc, Balzac est un romancier de l’anti-solitude. Par cette citation, le romancier prolonge ainsi le point de vue d’Aristote en assurant qu’être solitaire est non seulement une incongruité, mais encore l’assurance d’un « malheur infini ».
La solitude vient du latin solitudo, qui signifie aussi « désert » : le lieu où il n’y a personne. Être dans un « désert », c’est donc être seul physiquement. Mais la solitude peut aussi se comprendre sur un plan moral : on peut tout à fait se sentir seul, isolé, au milieu de la présence d’autrui, si ces autres en question sont distants, méprisants, insultants. Il existe ainsi plusieurs types de solitude : une physique, une morale.
Pour Balzac, être seul est donc « multiplier la souffrance à l’infini ». La souffrance étymologiquement, vient du « pathos ». Notons que la « compassion » est le fait de « souffrir ensemble » : avec l’idée de compassion, on comprend ainsi que si l’on souffre ensemble, on souffre moins. La citation de Balzac prend alors tout son sens. Il faut cependant noter que Balzac use ici de l’hyperbole « multiplier par infini » : le surplus de souffrance dans la solitude est comme exagéré.
[Problématisation] Le point de vue de Balzac peut s’expliquer assez simplement : quand on est seul, on est privé de secours matériels et moraux. Cependant, est-on vraiment toujours plus heureux dans un groupe ? C’est cette assertion qu’il faudra questionner. En effet, la solitude n’est pas peut-être l’universelle raison du malheur. Quand on est entouré de personnes désagréables, ne vaut-il pas mieux fuir ? Trop dépendre des autres ne vous expose-t-il pas, matériellement et émotionnellement ? Et comment pratiquer la méditation ou la pratique artistique, formes de plaisirs qui se déploient peut-être le mieux en étant isolé du reste de ses semblables ?
Il conviendra ainsi de se demander si l’équilibre de la nature humaine ne commande pas plutôt de trouver une voie médiane, pour diminuer la souffrance, entre solitude et absence de solitude : autrement dit, à quelles conditions la solitude pourrait aussi, non multiplier la souffrance à l’infini, mais la diviser ?
[Plan] Nous verrons tout d’abord qu’en effet, la souffrance peut être multipliée par la solitude, sur un plan matériel comme moral, par l’absence de compassion. Cependant la présence d’autrui peut aussi créer de trop fortes de situations de dépendance : et nous verrons ainsi que l’isolement consenti, la solitude portant à la réflexion, voire l’égoïsme nietzschéen, peuvent être une source de résilience. En définitive il apparaît nécessaire de trouver un équilibre entre solitude et sociabilité : nous verrons qu’il est possible de l’atteindre par la pensée qui rapproche d’autrui, la religion, ou la pratique artistique.
[I] Balzac n’a-t-il certes pas raison dans un premier temps ? Car la solitude peut en effet exacerber la souffrance et le malheur, en exposant davantage le solitaire à un manque de soutien matériel ou moral.
[I-1]. En effet, vivre en société, n’être pas solitaire, c’est avoir accès en même temps à l’aide d’autrui, aux réseaux, aux services de soin, aux ravitaillements etc. La solitude peut ainsi multiplier la souffrance et les privations sur un plan très physique, concret et matériel.
[Exemple] C’est pourquoi les habitants de la Zone, dans La Supplication, tendent le plus souvent à se regrouper en société. Les magasins des villages notamment parviennent à fournir l’aide indispensable aux habitants. C’est ce qu’évoque par exemple Anatoli Chimanski, journaliste, dans le passage « Monologue sur une chose totalement inconnue qui rampe et se glisse à l’intérieur de soi ». Il évoque les « magasins des villages » et leurs articles bondés, ainsi que les promesses faites par le Parti communiste : « J’ai entendu le discours du secrétaire du comité régional du parti : “Nous allons vous créer une vie paradisiaque. Il vous suffit de rester et de travailler. Vous aurez du saucisson et du sarrasin en abondance. Vous aurez tout ce que l’on vend dans les meilleurs magasins spéciaux.” C’est-à-dire dans les cantines des comités de région. ».
Ainsi la vie en communauté peut permettre d’accéder à un soutien physique, matériel, concret ; imaginons au contraire le solitaire privé de tout, vivant dans le dénuement ou les privations. Sur un plan matériel, la solitude peut ainsi multiplier la souffrance ; c’est aussi vrai, comme nous allons le voir, sur un plan psychologique.
[I-2.] La présence d’autrui permet tout d’abord un soulagement réconfortant par la « compassion » qui étymologiquement signifie « souffrir / ensemble ». Se confier à un autre pour qu’il soulage sa peine, chercher dans la présence d’autrui un soutien réconfortant : là sont des attitudes fort naturelles dont tout un chacun a pu faire l’expérience.
[Exemple]. Par extension, les solitaires semblent souffrir de cette absence d’autrui pour se confier, pour profiter un peu de cette compassion apaisant la souffrance. L’exemple de Zinaïda Evdokimovna Kovalenka, « résidente sans autorisation », dans La Supplication de Svetlana Alexievitch, peut par exemple être convoqué utilement. Zinaïda confie à Svetlana Alexievitch sa peine d’être solitaire, notamment parce qu’elle n’a ainsi personne pour se confier : « Si seulement des gens passaient par ici tous les jours, s’ils venaient chez moi ! Pas loin d’ici, dans un autre village, une femme vit toute seule. Je lui ai déjà proposé de s’installer chez moi. Je ne sais pas si elle serait d’une aide quelconque mais, au moins, j’aurais à qui parler. Qui appeler… ».
Cette solitude dans la souffrance, c’est aussi celle dont souffre par moments Victor Hugo dans Les Contemplations : le poète, d’autant plus seul dans son exil, d’autant plus seul après la perte de sa fille Léopoldine, confie bien sa peine d’être solitaire dans quelques poèmes du recueil. C’est le cas par exemple dans « Paroles sur la dune », extrait du Livre V : « Tout s’est-il envolé ? Je suis seul, je suis las ; / J’appelle sans qu’on me réponde ; / Ô vents ! ô flots ! ne suis-je aussi qu’un souffle, hélas ! / Hélas ! ne suis-je aussi qu’une onde ? ». Par ces deux exemples, nous voyons ainsi bien que la solitude peut multiplier la souffrance par l’absence de compassion. Mais d’un point de vue plus général, même pour l’homme qui ne souffre pas, la présence morale de l’autre est très importante pour l’équilibre de chacun.
[I-3] Cette présence d’autrui permet donc, dans un premier temps, de soulager la souffrance par la compassion. Mais même en dehors des cas de souffrance, pour l’équilibre global de chacun, elle semble aussi nécessaire pour apporter une force de vivre et l’élan nécessaire pour avoir confiance en soi.
[Exemple]. C’est en ce sens que pour Nietzsche (même s’il ne partage pas ce point de vue, il le rapporte étant donné que cela concerne pour lui l’immense majorité de ses semblables), la présence d’autrui est nécessaire car il donne une force morale de vivre, une confiance en soi incontournable. Dans le paragraphe 330 du Gai Savoir, il rappelle ainsi que même les penseurs, les écrivains les plus géniaux peuvent avoir besoin d’approbation, du soutien d’autrui, du public dirait-on aujourd’hui. Nietzsche cite alors une phrase de l’historien Tacite : « quando etiam sapientibus gloriæ cupido novissima exuitur », ce qui signifie « même pour les sages la passion de la gloire est la dernière dont se dépouille ». Ainsi peut-on voir que même pour les plus grands penseurs, la présence d’autrui peut être indispensable par le soutien moral qu’elle apporte, et qu’au contraire, la solitude peut multiplier la souffrance ainsi que le rappelait Balzac.
[Transition vers le II]. Si la présence d’autrui peut ainsi diviser la souffrance et non la multiplier, n’est-elle pas aussi porteuse de risques ? En effet il faut pointer le risque de trop grande dépendance à autrui, physique et morale : ainsi, en cas de rupture avec l’autre, voire de drame (ce qui arrive certes souvent par exemple dans la Zone de Tchernobyl), la souffrance aura été en réalité multipliée par l’inscription sociale de l’individu. C’est donc la présence de l’autre, l’absence de solitude, que devient une source de fragilité et de souffrance ; au contraire, l’isolement consenti ne peut-il pas être une source de résilience ?
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Ulysse Grasset
Ancien élève de prépa Khâgne A/L à Louis Le grand, diplômé de l’ENS Ulm et d’HEC, je contribue au blog de Groupe Réussite et je donne des cours de français à domicile aux élèves de prépa.
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