On ne fait plus rien dans les écoles d’ingénieurs : vrai ou faux ?
« Tu feras des efforts pendant 2 ans en classes préparatoires, tu mettras un peu ta vie de côté pendant ce temps, mais ensuite tu feras ce que tu voudras en école d’ingénieurs en toute décontraction et tu auras une carrière professionnelle sans embûche ». Voici les mots de mon prof de maths de terminale afin de me convaincre de faire prépa au moment des choix APB (devenu Parcoursup en 2017). Aujourd’hui à plus de 30 ans, après avoir fait prépa, école d’ingénieurs et quelques années d’expérience professionnelle, je tenais à lui répondre.
Difficile de parler de rythme en école d’ingénieurs sans donner un référentiel, un cadre pour comprendre l’état d’esprit des étudiants lors de leur sortie des classes préparatoires. Et la plupart des étudiants en école d’ingénieurs ont déjà connu 2 vies au moment de leur entrée en école ; tout d’abord leur vie de lycéen et ensuite leur vie de taupin (pour la majorité). C’est à ce moment-là que certains reviendront fièrement dans leur ancienne prépa au moment des journées d’orientation et proclameront à leurs anciens congénères : « Tu verras, tu ne fais plus rien en école d’ingénieur ». Des mots qui feront saliver n’importe quel élève de prépas… Car c’est avec ce regard qu’ils contempleront leur passage en école d’ingénieur, du moins au début de cette nouvelle aventure, avant d’être modelé à nouveau par leur expérience en école et d’avoir un autre jugement sur cette formation. Finalement ne fait-on vraiment rien ?
La transition du lycée aux classes prépas : le régime sur-protéiné
Les futurs élèves de prépa ont généralement un profil similaire au lycée : des facilités en sciences (maths, physique, chimie, SVT,…) qui leur suffiront à tutoyer les sommets sans forcer mais avec un minimum de sérieux, de curiosité et la volonté de réussir. Jusqu’au bac, aucun ou peu d’échec dans les matières scientifiques, une certaine confiance en soi et souvent le goût du travail bien fait et fini en totalité, en temps et en heure. Le mode « C’est facile et j’aime ça ! Alors pourquoi ne pas tenter une prépa si je suis fort en maths ? ».
C’est dans ce contexte qu’un projet d’étude est proposé, celui de se frotter aux meilleurs élèves et d’approfondir les sciences après un bac scientifique qui, il faut l’avouer, a perdu de sa verve depuis les anciens bacs C. En prépa, un contexte idéal attend les néo bacheliers, pas d’amphi surpeuplé mais plutôt un prolongement des années lycée (d’ailleurs les prépas, malgré un statut d’étudiant sont physiquement encore au lycée) avec des professeurs de maths agrégés triés sur le volet, des horaires très cadrés, un effectif d’élèves relativement restreint, l’inverse de la fac nous assure-t-on.
Avec le choix de suivre ce cursus, nul besoin de penser à un métier tout de suite au moment des choix sur Parcoursup pendant l’année de terminale ; vous gagnez 2 ans de répit, car presque toutes les portes demeurent ouvertes. Ce que les réformes successives en filière scientifique ont édulcoré pour le grand public, la prépa s’en venge avec des élèves qui ont demandé à être « torturés ».
La pilule rouge : la prépa ; la pilule bleue : la fac. Dès lors, le politiquement correct vole en éclat, tout comme la volonté de faire réussir un plus grand nombre : la prépa est une filière d’élite qui n’attend pas les éléments les plus en difficulté. Un peu comme si ce système ramenait les élèves de prépas à la réalité, « vous vous êtes amusés jusqu’au bac, l’Etat voulait amener une classe d’âge à un minimum de connaissance avec le bac scientifique, mais maintenant il faut devenir sérieux ». La prépa, on est prévenu en y rentrant, c’est marche ou crève, créant même de l’auto-censure de la part de certains élèves de Terminale, certes bons, mais avec moins de confiance en eux ou venant de petits lycéens de province ou de banlieue, qui se disent : « je n’y arriverai jamais ».
Les classes prépas – le sur-régime en rythme de travail
La prépa, c’est du lycée aux hormones, plus d’heures de cours, un rythme plus rapide, des cours de maths plus difficiles, plus de compétition entre les élèves. Mais cela reste très scolaire, très balisé. On a même du mal à appeler des élèves de prépa des étudiants !!
En prépa, il faut accepter de ne consacrer son temps qu’au travail sur les mathématiques, la physique ou la chimie ; et c’est là que réside la principale différence avec le lycée. Cela implique un certain déséquilibre dans sa vie personnelle. On ne sait jamais comment nous allons réagir face à cette privation de diversité. Pendant 2 ans, le même repas sera au menu : travailler, travailler, travailler !! Certains le vivent un peu mieux que d’autres, mais tout le monde souffre à des degrés différents.
Pour caricaturer, je dirais que cela s’apparente à une vie militaire où tout est chronométré. On ne supporte plus le bruit à la maison, on demande à ses parents de parler moins fort, d’éteindre la télé, on devient un peu imbuvable ! Cependant, il y a un côté presque rassurant en prépa, car très unidimensionnel, on vit dans un cocon, en dehors du temps, en dehors des responsabilités, il n’y a pas de choix à faire, peu de travaux de groupe, peu d’options à choisir et pas de stage professionnalisant.
La mission est très simple : être fort en maths, en physique et en cours de français. On donne tout dans une seule direction et on nous accorde ce droit, ce privilège de devenir sauvage, de se couper de ses amis, des fêtes de famille, du sport et d’être en retrait par rapport à la vie normale. Lorsque j’étais en PCSI ou PC*, je me souviens des élèves de terminale ou première avec qui nous partagions le lycée : je ressentais une forme de jalousie par rapport à cette liberté, par rapport à cette insouciance. Si proches et pourtant si éloignés dans notre vie quotidienne, dans les exigences demandées et dans les échéances qui nous attendaient.
En prépa, on se définit par son lycée, ses notes, son classement, sa filière, ses ambitions d’école d’ingénieurs, rien d’autre ne compte. C’est partiellement une déshumanisation au profit de la connaissance et de la sélection. Il y a pire me direz-vous, certes, mais cette vie peut laisser des traces. On vit en vase clos avec des métriques bien définies, être major en prépa aux DS est devenu une fin en soi. On est en queue de classe pour la première fois de sa vie alors qu’on fait finalement comme depuis toujours, mais cela ne passe plus. Afficher une singularité en CPGE n’est pas une vertu, les excentricités ne sont pas les bienvenues, on vous ferait presque culpabiliser de jouer de la guitare (à part pour les brutes en maths qui rentreront à Normale Sup, ou quand l’excentricité a du génie).
Il est vrai que les profils un peu plus artistes ont du mal à rentrer dans le moule de la prépa, à satisfaire des besoins plus singuliers, ce qui est aussi une source de souffrance. Les classes prépas sont l’occasion de découvrir ses limites scolaires, de voir ce qu’on a dans le ventre, tel un athlète qui passerait du statut d’amateur au lycée à professionnel en classes prépas. Mais réussir en classe prépa ne tient donc pas qu’au niveau scolaire de l’élève mais aussi à la capacité à se couper de ses passions et autres centres d’intérêt pour se concentrer dans un temps « court » à l’apprentissage des sciences (ou à la sélection par les sciences). Les classements de début d’année qui reflètent le niveau du lycée n’ont souvent rien à voir avec ceux de la fin de l’année qui reflètent beaucoup plus l’investissement en prépa.
La période de 2 ans en classes prépa est suffisamment longue pour s’habituer à cette vie de taupin, l’homme finit par prendre des habitudes dans tout ce qui dure. Quand, en plus, on repasse les concours des grandes écoles une deuxième fois en maths spé (5/2), cela équivaut à 3 ans d’une vie, de 18 à 21 ans, les soi-disant plus belles années ? « Hier encore j’avais 20 ans » n’évoqueront sans doute pas les mêmes souvenirs chez chacun. Vous l’aurez compris, je ne trouvais pas dans les classes préparatoires une source d’épanouissement, et c’est devenu une certitude avec des années de recul. Cependant, je n’irai pas jusqu’à dire que je regrette d’avoir fait ce cursus, c’est une forme d’extrême qui se nourrit d’un système français profondément élitiste.
Il y a une dualité dans le rapport aux classes prépas : on souffre mais en même temps nous en dégageons une certaine fierté, une confiance en soi, c’est peut-être une nouvelle façon de s’affirmer pour notre génération qui n’a pas connu le service militaire. Quoiqu’il en soit nous, les anciens taupins, en sommes le produit et c’est notre choix d’accepter les règles du jeu : pour rentrer dans les meilleures écoles d’ingénieurs françaises gratuites, il faut faire une classe prépa. Les CPGE sont une forme de rite initiatique et les recruteurs y prêteront une attention particulière lors de nos entretiens, la preuve de notre capacité de travail.
L’entrée en école d’ingénieur : une décompression déconcertante – le régime sinusoïdal forcé
Je me suis attaché à décrire l’état d’esprit dans lequel nous sommes en classes préparatoires pour mieux comprendre notre perception très subjective de l’école d’ingénieur. Le style de vie engendré par la prépa est unique par rapport aux autres cursus français d’études (sauf pendant la 1ère année de médecine) et n’a d’égal dans aucun autre pays (sauf en Asie peut-être). Le travail personnel a pris le pas sur toute autre forme d’activité et parfois le syndrome de Stockholm opère, surtout lorsque pendant des années on a manqué au principe de « cultiver son jardin ». Ou, comme un prisonnier qui se voit libéré, et une fois dehors, se rend compte qu’il est perdu et regrette sa vie d’avant. Un réflexe de peur, mais la nature reprendra le dessus.
La première année d’école d’ingénieurs est une réponse à ces intenses années passées en classe préparatoire. Certains élèves décideront de complètement arrêter de bosser car ils auraient gagné « ce droit » de faire autre chose et souhaitent rattraper le temps perdu. D’ailleurs, les exigences d’école en première année les transforment en enfants dans un magasin de bonbons : la vie associative, le sport, les soirées, les jeux vidéo, le bureau des élèves (BDE), prennent le pas sur le travail scolaire régulier.
Avec le rythme acquis en prépas, les élèves ont du coffre et peuvent se permettre de réviser à la dernière minute, valider les modules et avancer. Finies les colles ; les DS hebdomadaires laissent place à des partiels une fois par trimestre seulement. De plus, les cours en école ressemblent plus à un format « fac » : des cours en amphi, des TD avec peu de présence obligatoire, ce qui permet un investissement asynchrone.
Je me souviens d’amis qui aimaient travailler la nuit, dormaient le matin et récupéraient les polycopiés de cours l’après-midi. De plus, les cours sont beaucoup moins théoriques par rapport à la prépa et peuvent paraître même décousus pour certains modules : on part d’exercices pratiques, on apprend une méthode de résolution qui marche et on finit par la théorie. Les évaluations portent sur des exemples simples et la compréhension des méthodes.
Les ex élèves de prépa en captivité sont remis en liberté ! Et on a tous en tête les soirées d’intégration des plus prestigieuses écoles d’ingénieurs de France (Polytechnique, Mines, Centrale) qui n’ont rien à envier à certaines boîtes de nuit parisiennes. Certaines ont mal tourné, avec des comportements extrêmes aboutissant à des comas éthyliques et même plus tragiquement à des morts. Comment expliquer cela ? Les écoles d’ingénieurs ont dû au fil des années devenir plus fermes contre les « open bars », contre l’absentéisme en cours, contre la tricherie, contre des dérives qui n’auraient pas lieu d’être si les élèves n’avaient pas été autant mis sous pression…
De brillants élèves de prépa redoublent en école d’ingénieurs, une aberration ? On assiste à une crise d’adolescence à retardement, tout le monde habite sur le campus et se redécouvre, il y a un côté colonie de vacances, fort sympathique à certains égards. On retrouve ce côté-là aux Etats-Unis en université où le but de la première année est de faire se rencontrer les élèves, de créer un mini réseau, un esprit de camaraderie.
Evidemment, tous n’abordent pas l’école d’ingénieurs de cette façon, certains avec plus de mesure, en profiteront pour renouer avec leurs anciennes passions, la musique, la photo, les voyages… et dès le début décideront de se consacrer à un projet professionnel, à un job étudiant. Cette maturité leur fait comprendre rapidement que leur temps peut être mis à profit. Cependant, que ce soit en CPGE ou au sein des meilleures écoles d’ingénieurs post bac tous s’accordent à dire que les cours deviennent moins durs et moins chronophages après la prépa.
Il faut réapprendre à avoir du temps. Ainsi au début, les étudiants auront la sensation de facilité, la sensation de ne pas travailler, d’avoir trop de temps libre. Et c’est vrai, au sens de la prépa, on ne travaille plus de la même façon. Une deuxième phase de notre vie étudiante débute : une phase avec des options à choisir, où débutent des travaux de groupe, et qui tend plus de ponts avec le monde professionnel.
Des cours plus généraux sont dispensés, comme du marketing, de la comptabilité, des sciences humaines qui s’apparenteront pour des profils scientifiques à de la culture générale. Une plus grande autonomie est attendue des étudiants, avec un niveau minimal à dépasser pour valider une matière, la sélection au sens de la prépa n’existe plus. Certains élèves continueront à se battre pour être dans les premiers de la promo et bénéficier de certains avantages (les échanges internationaux, les filières, les stages,…).
En école, on nous parle de professionnalisation, de futur, d’entretiens, de salaire… C’est une forme d’apprentissage, moins scolaire, plus naturel, plus équilibré et c’est souvent en 2ème année d’école que l’on s’aperçoit de cela. La première année d’école d’ingénieurs est une année tampon. En deuxième année, on prend du recul, on s’éloigne de la prépa (cela paraît loin dès lors), on mûrit, on devient adulte et c’est à ce moment-là que l’école prend tout son sens.
Classe prépa – école d’ingénieurs, la voie royale ?! Avec du recul…
Certains diront que pour profiter pleinement de son école d’ingénieurs, il faut avoir fait prépa, que les 2 formats sont complémentaires et nourrissent 2 facettes de notre formation. Une formation sélective très théorique, et une formation plus professionnalisante, trait d’union vers notre premier emploi. Je doute sincèrement qu’un élève de 3ème année d’école d’ingénieurs raconte qu’on ne fait plus rien en école, il aura certainement un propos plus nuancé.
Mais si cette légende urbaine peut aider les élèves de prépa à tenir, à symboliser le bout du tunnel, en se disant que ses efforts ne sont que temporaires. Je me souviens de ce que certains de mes camarades de prépa me disaient en maths sup : « tu te prends la tête 2 ans en prépa pour être tranquille 40 ans, pour les autres cursus c’est le contraire ». Et en grandissant, c’est ce genre de commentaires que je trouve fallacieux.
Rien n’est écrit, rien ne nous est dû. C’est vrai que le menu « classes prepas – école d’ingé » vous assurera un filet de sécurité par rapport à quelqu’un sans études, mais soyez sûr que vous devrez continuer à vous battre pour donner du sens à votre vie. La concurrence est rude et le monde globalisé rebat les cartes chaque jour un peu plus. On ne doit jamais s’arrêter d’apprendre.
La voie royale c’est que l’on a appris à apprendre. Lorsque je suis parti après mes études aux Etats-Unis et au Canada, les recruteurs n’avaient jamais entendu le mot prépa et pour eux le mot ingénieurs symbolise le côté historique de l’industrie. Ce qui compte est ce que l’on peut apporter à l’entreprise, notre plus-value, on ne sera pas recruté sur le nom d’une école (X, Centrale, Mines). La seule école connue aux USA est La Sorbonne. Il n’y a qu’en France où les postes décisionnels de grands groupes étaient réservés aux X, cela est en train de changer, le chômage touche même les polytechniciens.
Jonathan Molon
A propos de Jonathan
Après avoir fréquenté une prépa scientifique PCSI/PC*, je m’occupe d’assurer le bon déroulement des cours particuliers et des stages intensifs chez Groupe Réussite. L’école est la base de toute la société, redonnons lui sa place !
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Je suis pas d accord avec cet article, je suis a l utbm et certains etudiants venant de prepa cpge travaillent tout le temps.
Justement parceque c est moins theorique et qu ils n ont pas l habitude d utiliser certaines methodes et manieres de penser
Mais oui en regle generale le rythme est moins soutenu qu en prepa. C est pas moins dur, c est juste qu on attend moins de rigueur de notre part et les examens moins calculatoires, moins baséw sur les maths
Merci pour ton commentaire très pertinent, qui vient équilibrer le débat. C’est bien d’avoir le retour d’un élève ingénieur qui n’a pas fait prépa et qui voit ses camarades d’école et anciens prépas cpge galérer 🙂
Bon article.
Il faut arrêter avec l’idée qu’en école, on ne fait plus rien.
Plus grave, en France, on mise trop sur l’éthique prépa+bonne école –> c’est bon tu as réussi ta vie…
Dans la vie professionnelle, d’autres challenges nous attendent.
On « bourre trop le mou » des jeunes taupins/élèves ingénieurs, en leur faisant croire que tout deviendra plus facile…
Vous avez tout à fait raison. Le cursus CPGE et école d’ingénieurs n’est qu’un indicateur parmi d’autres et beaucoup de boulot attend les étudiants pour réussir dans le monde du travail.