Les 10 citations complémentaires à connaitre (hors programme)
Le sujet de dissertation donné le jour de l’épreuve de français au concours de prépa scientifique peut être soit une question, soit une citation : dans les deux cas, il s’agit de trouver une problématique pertinente et d’organiser un développement en fonction du questionnement posé. S’il s’agit d’une citation, celle-ci mérite tout autant une analyse approfondie des termes, ainsi qu’une analyse des présupposés et paradoxes engagés par la pensée de l’auteur. Il faut s’efforcer de délier, de déployer cette pensée, c’est-à-dire d’en dégager les prémisses mais aussi les conséquences, afin de pouvoir, si nécessaire, la nuancer (et non simplement la contredire), et éventuellement la dépasser. Surtout, il est impératif de s’interroger sur les enjeux de telle ou telle citation, et d’être attentif à la particularité et à la profondeur d’une pensée pour éviter d’être dans la simple récitation de cours. Il est important aussi d’avoir en tête quelques positionnements philosophiques précis sur la question de la servitude et de la soumission : la dissertation se fait certes à partir des œuvres au programme, mais avoir étudié quelques œuvres philosophiques (hors programme) permet en fait d’acquérir une sorte de maturité et de recul sur les problématiques proposées.
Après avoir publié des citations issues des œuvres au programme j’ai sélectionné 10 autres citations pour tous les élèves de maths spé pour leur permettre de rédiger des dissertations de concours d’entrée aux grandes écoles d’ingénieur. Issues d’œuvres de Camus, d’Alain ou de Rousseau, ces citations sont accompagnées de leurs commentaires, afin de vous donner quelques clés de lecture.
1) « L’homme est condamné à être libre » – Sartre, l’Être et le Néant
Problématique soulevée : le rapport entre Liberté et Responsabilité
Cette citation de Sartre, « L’homme est condamné à être libre », repose sur un bel oxymore, qui rapproche les deux notions antinomiques de condamnation et de liberté. Il faut comprendre la position existentialiste sur la liberté pour donner tout son sens à ce propos qui pourrait a priori paraître paradoxal : il faut d’abord se souvenir du propos de Sartre sur l’essence et l’existence. Selon lui, « l’existence précède l’essence » dans le cas des êtres humains : l’homme est un être pour soi, dont l’essence n’est pas prédéterminée (contrairement aux autres choses, les objets par exemple, qui sont des « être en soi »), c’est bien lui qui décide de ses propres choix et donc de ce qu’il est, de ce qu’il veut être. C’est pourquoi l’être humain peut être considéré comme libre et donc comme fondamentalement responsable. Mais cette liberté constitue d’une certaine manière un certain poids : il n’est pas facile d’assumer sa propre liberté, les individus cherchant souvent à déléguer leurs propres responsabilités à autrui ou autre chose (pensons donc ici au phénomène de la soumission, ou de la servitude volontaire). Cette conception de la liberté ne tolère pas de guide extérieur, et c’est ce qui peut d’ailleurs causer un sentiment d’abandon ou d’angoisse. Ainsi, l’homme, quoiqu’il fasse, est condamné à être libre…
2) « La puissance qui s’acquiert par la violence n’est qu’une usurpation, et ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent ; en sorte que si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts et qu’ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que l’autre qui le leur avait imposé. La même loi qui a fait l’autorité, la défait alors : c’est la loi du plus fort. » – Diderot, Encyclopédie (article : « Autorité Politique »)
Problématique soulevée : l’asservissement et le recours à la force : le problème de la loi du plus fort
Ce propos de Diderot issu de l’article « Autorité politique » de l’Encyclopédie est important car il explicite le mécanisme de la loi du plus fort, thématique primordiale dans le thème « servitude et soumission » et qui ne cesse de traverser les œuvres au programme. Il s’agit ici de montrer à la fois l’illégitimité et la vacuité de la loi du plus fort : le pouvoir qui repose sur la force et s’impose par celle-ci est un pouvoir vain, instable, et fondamentalement contingent. Il est mis à mal dès qu’une force supérieure vient s’opposer à lui et le détruire ; une société qui repose sur un tel mécanisme ne peut prétendre à une justice aucune, la force étant un principe inique qui ne fait pas droit, comme le proclame également Rousseau dans le Contrat Social. L’établissement de la loi du plus fort vient rompre le respect de l’égalité entre les hommes, et constitue un ressort d’asservissement en société.
3) «Rien au monde ne peut empêcher l’homme de se sentir né pour la liberté. Jamais, quoi qu’il advienne, il ne peut accepter la servitude ; car il pense. » – Simone Weil, Oppression et liberté
Problématique soulevée : Liberté et rationalité humaine : l’impossibilité de la soumission
Cette citation propose une conception optimiste sur la nature humaine et sur son rapport à la liberté. Simone Weil insiste d’abord sur un sentiment inné, présent, universel, en tout homme, de la liberté. L’homme serait donc fondamentalement un être pour la liberté : et surtout, il est un être fait pour actualiser, de fait, cette liberté. C’est ce qui fait que l’état de servitude est intolérable pour lui : l’homme ne peut pas tolérer, c’est à dire qu’il ne peut reconnaître et vouloir, les contraintes extérieures qui s’imposeraient à lui dans le sens d’une restriction de sa liberté. En ce sens, Simone Weil nie la possibilité pour l’être humain d’être dans un état de soumission : s’il peut objectivement se retrouver en posture d’esclave, sa nature d’être humain fait qu’il ne peut nécessairement cesser de vouloir, d’aspirer à la liberté, même si ce n’est qu’intérieurement. Pourquoi ? Du fait de sa qualité d’être rationnel même. La présence et l’exercice de la rationalité en l’homme (par la pensée) fait qu’il est nécessairement un être conscient, capable de mouvement de réflexivité et de lucidité, ne tolérant pas un aveuglement à soi-même ainsi qu’une passivité qui pourraient favoriser la reconnaissance de la servitude. La faculté de penser chez l’homme constitue donc le garant du maintien de sa propre liberté, et donc du maintien de sa propre humanité. Actualiser la pensée, c’est actualiser la liberté.
4) « La liberté n’offre qu’une chance d’être meilleur, la servitude n’est que la certitude de devenir pire » – Albert Camus
Problématique soulevée : le rapport entre Liberté, Servitude et Moralité
Cette citation de Camus constitue une réflexion intéressante sur le devenir humain selon l’état de liberté ou de servitude dans lequel il se trouve. La binarité entre les deux propositions est bien marquée : du côté de la liberté, on retrouve une certaine indétermination, un champ de possibles, où l’être humain peut saisir sa chance et choisir la pente ascendante de l’amélioration. Du côté de la servitude, Camus restreint ce champ des possibles, en posant une loi nécessaire entre état d’esclavage (cause) et dégradation du sujet humain (effet). L’enjeu ici est celui du devenir moral de l’être humain : si celui qui n’est pas serf peut, s’il le décide, devenir meilleur (disposant de conditions objectives favorisant cette évolution personnelle), celui qui est esclave semble ne pas avoir la possibilité d’être ou de devenir un sujet moralement qualifié. La servitude conduirait ainsi nécessairement à une déshumanisation tellement puissante qu’elle pourrait mener à un oubli de la liberté, et même à une certaine perte d’identité. Ce qui est intéressant ici, c’est en fait la question de la responsabilité, et c’est ce qu’il faudrait véritablement interroger dans le cadre d’une dissertation. Quelle est la responsabilité de l’homme libre ? Et s’il est véritablement libre (selon une certaine définition de la liberté qui dépasserait une première appréhension naïve), n’est-il pas de fait nécessairement amené à être meilleur, à vouloir être meilleur ? Et en ce qui concerne l’homme asservi, faut-il penser une déresponsabilisation totale ? Qu’en est-il du cas de la soumission … ?
5) « Mais on pensera peut-être que nous voulons par ce moyen rendre les sujets esclaves, parce qu’on s’imagine que c’est être esclave que d’obéir et qu’on n’est libre que lorsqu’on vit à sa fantaisie. Il n’en est rien ; car celui-là est réellement esclave qui est asservi à ses passions et qui est incapable de voir et de faire ce qui lui est utile, et il n’y a de libre que celui dont l’âme est saine et qui ne prend d’autre guide que la raison. Sans doute l’action qui résulte d’un ordre, c’est-à-dire l’obéissance, enlève en quelque sorte la liberté ; mais elle ne produit pas pour cela l’esclavage, qui est tout entier dans la manière d’agir. » – Spinoza, Traité théologico-politique (1670), Ch. XVI
Problématique soulevée : la servitude et les passions : l’asservissement à soi
La définition de la liberté que donne ici Spinoza est une définition originale qui dépasse une conception première que l’on pourrait avoir de la liberté : il s’agirait du pouvoir de faire ce que l’on veut. Or, selon Spinoza, cette approche est trop naïve, car « vivre à sa fantaisie » serait en fait le signe d’un asservissement personnel à ses propres passions : le fait de suivre et d’être uniquement porté par ses désirs prouve que l’homme n’est pas dans le plein exercice de sa rationalité et qu’il se laisse plutôt vivre dans une forme de passivité qui serait une sorte d’esclavage à soi. La liberté ne se pense pas en dehors de la raison : l’homme libre, c’est celui qui cherche à connaître, et notamment à connaître ce qui le dispose à agir d’une certaine manière (ce qui le détermine). L’obéissance, lorsqu’elle est rationalisée, n’est donc pas exclusive de la liberté : s’il faut reconnaître et respecter une autorité extérieure, cela ne suffit pas pour que l’individu tombe dans l’esclavage . Il vaut mieux reconnaître de manière rationnelle une règle et y obéir, plutôt que de n’avoir aucune règle et devenir esclave de ses propres passions.
6) « Une femme ne peut pas être elle-même dans la société contemporaine, c’est une société d’hommes avec des lois écrites par les hommes, dont les conseillers et les juges évaluent le comportement féminin à partir d’un point de vue masculin. » – Henrik Ibsen
Problématique soulevée : servitude et rapports homme / femme : idéologie et domination masculines
Ce propos d’Henrik Ibsen vient expliquer les raisons de la soumission de la femme en société : selon lui, celle-ci n’est pas à même de s’épanouir et d’évoluer au même titre que les hommes dans la société telle qu’elle est. Il insiste sur l’ampleur du phénomène de la domination masculine, qui se traduit dans tous les domaines et à toutes les échelles de la société. Ce rapport de domination s’exprime dans les rapports directs entre hommes et femmes, mais aussi dans les normes sociétales, qui sont à la fois faîtes par et pour la population masculine. Il y aurait donc une sorte d’homogénéisation masculine de l’espace public, de la société, qui serait exclusive d’une prise en compte de l’identité spécifique de la femme. Cela conduit à une restriction de son épanouissement personnel, et donc à une restriction de l’expression de sa liberté propre. Ce propos fera d’ailleurs écho aux analyses développées par Bourdieu dans La domination masculine.
7) « et que si vous agissez extérieurement avec les hommes selon votre rang, vous devez reconnaître, par une pensée plus cachée mais plus véritable, que vous n’avez rien naturellement au-dessus d’eux. Si la pensée publique vous élève au-dessus du commun des hommes, que l’autre vous abaisse et vous tienne dans une parfaite égalité avec tous les hommes ; car c’est votre état naturel. » – Pascal, Trois discours sur la condition des Grands (1671), Premier Discours
Problématique soulevée : l’égalité naturelle parmi les hommes / l’inégalité en société
Dans ce discours, Pascal cherche à rappeler aux privilégiés de la société que leur situation de supériorité n’a rien de naturel, et qu’elle est simplement le fruit de certaines conventions. Il cherche donc à donner une leçon d’humilité aux « Grands » de ce monde, en exigeant de leur part une reconnaissance intérieure de leur véritable nature. Pascal ne va pas jusqu’à exiger de leur part qu’ils lèvent cette illusion au reste de la société, et qu’ils se maintiennent dans une égalité parfaite avec le peuple : en revanche, si les Nobles bénéficient de certaines privilèges du fait d’une certaine suite de hasards et de conventions, ils doivent se souvenir qu’ils ne valent, en soi, pas plus que les autres, et qu’ils doivent donc se montrer respectueux à l’égard de ceux qu’ils dominent. Pascal reconnaît donc l’égalité naturelle parmi tous les hommes, et ne fait pas dépendre la valeur d’un individu de son statut social. Il en appelle à une conscience, à une lucidité intérieure de la part des dominants, mais pas à une uniformisation des conditions dans le sens d’une égalité de fait au sein de la société…
8) « Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme ; et c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté. » – Rousseau, du Contrat Social (Livre I, chapitre 4 « De l’esclavage »)
Problématique soulevée : l’interdépendance entre Liberté et Humanité
Rousseau refuse une quelconque légitimation du droit d’esclavage, et cherche à démontrer dans ce passage qu’aucun homme ne peut vouloir se faire l’esclave d’un autre. Ainsi selon lui, la servitude volontaire n’est pas possible : personne ne peut vouloir la servitude, du moins de manière rationnelle et consciente (ou alors ce serait être sous l’emprise de la folie). Car renoncer à sa liberté, ce serait renoncer à soi : or l’homme ne peut pas aspirer à se perdre lui-même. Rousseau évoque ainsi une incompatibilité de la nature humaine avec la servitude volontaire. La liberté est ainsi ce qui vient définir l’essence même des êtres humains : elle est la condition première, fondamentale, nécessaire, de l’humanité. Si l’homme n’est pas libre, il n’est alors plus conscient, plus rationnel, plus moral et donc plus responsable : bref, il n’est plus homme, et selon Rousseau, le choix de la déshumanisation est fondamentalement contradictoire et impossible.
9) « Le but de l’éducation totalitaire n’a jamais été d’inculquer des convictions mais de détruire la faculté d’en former aucune. » – Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme
Problématique soulevée : idéologie et servitude : l’asservissement intellectuel de l’homme
Cette citation d’Hannah Arendt vient illustrer les pires effets de la servitude, à travers l’analyse des rouages et des effets du système totalitaire. Elle s’intéresse plus particulièrement ici à la question de l’éducation totalitaire : celle-ci a pour effet non pas d’instruire et d’autonomiser les individus, mais bien de les empêcher d’être en mesure de penser tout court. C’est un processus d’asservissement particulièrement dévastateur : il ne s’agit pas seulement de convaincre (en inculquant une idéologie particulière), mais de faire en sorte que l’individu ne soit plus capable d’exercer ses facultés rationnelles, de telle sorte qu’il puisse justement être convaincu par tout et n’importe quoi. Bref, le résultat est celui de l’incapacité de l’homme à penser : et donc une incapacité à se penser lui-même, à remettre en question sa condition et a posteriori à se révolter. L’éducation totalitaire contredit la finalité même de l’éducation propre : elle vient animaliser, infantiliser l’individu, détruisant son humanité et son identité même en annihilant toute capacité de réflexion en lui.
10) « Penser, c’est dire non. Remarquez que le signe du oui est d’un homme qui s’endort ; au contraire le réveil secoue la tête et dit non. Non à quoi ? Au monde, au tyran, au prêcheur ? Ce n’est que l’apparence. En tous ces cas-là, c’est à elle-même que la pensée dit non. » – Alain, Propos sur la religion, « l’homme devant l’apparence » (19 janvier 1924)
Problématique soulevée : Liberté, Remise en question et Réflexivité
Dans ce très beau texte, Alain cherche à partager ce qui pourrait être le véritable chemin vers la Liberté. Selon lui, il ne s’agit pas simplement de se libérer des influences, et des contraintes extérieures : celles d’autrui, celles des conventions, celles de la religion ou encore de la politique. Le plus important est d’abord de se libérer de soi-même, et d’opérer un mouvement réflexif qui puisse permettre de prendre de la distance par rapport à ses propres contraintes internes. La liberté réside dans la remise en question de tout, mais avant tout de soi : il s’agit d’ébranler ses propres réflexes, les fondements conceptuels, culturels, qui informent sa propre pensée, et donc de parvenir à sortir de soi et de mettre à distance ses déterminations personnelles. Il faut prendre de la distance avec ses propres croyances, afin de devenir véritablement libre, rationnel, autonome. Il s’agit de dire « non », mais en fait afin de pouvoir dire vraiment « oui » : il n’est pas question de scepticisme gratuit ici, mais bien d’une définition positive de la liberté, qui exige un rôle actif et une conscience épanouie de la part du sujet humain.
Ces citations peuvent tomber en dissertation, mais l’idée est ici de s’exercer à identifier les problématiques soulevées par d’autres auteurs en lien avec le thème de servitude et soumission, et de disposer de passages à citer dans vos propres copies de concours. L’objectif est de gagner le maximum de points dans cette épreuve qui possède l’un des plus gros coefficients à Polytechnique, Centrale ou aux Mines.
Rime Salmon
A propos de Rime
Elève de l’ENS Ulm en Lettres Modernes, j’enseigne le français aux élèves de prépas scientifiques avec Groupe Réussite en cours particuliers et stages intensifs.
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