Dissertation corrigée sur le sujet « pourquoi punir ? »
En prépa scientifique, l’épreuve de français-philosophie est très importante, elle possède l’un des plus gros coefficients aux concours d’entrée en école d’ingénieur. En général, une dissertation est au programme des élèves de MP, PC et PSI. Le sujet peut provenir d’une citation ou d’une question. Après avoir publié une dissertation sur la question « existe-t-il une servitude volontaire? », vous avoir fourni un recueil de citations utiles dans les œuvres au programme du thème servitude et soumission et un recueil de citations complémentaires, voici une dissertation avec une proposition de plan sur la question « pourquoi punir ? ». Nous avons choisi cette question simple car elle nous paraît couvrir un grand nombre d’autres questions possibles. Après l’analyse des termes du sujet, un plan détaillé vous permettra d’enrichir vos idées et de trouver les bonnes références dans des œuvres liées au thème « servitude et soumission ».
Analyse du sujet :
« punir » : formulation infinitive. Cette formulation impersonnelle de la question indique que l’origine de l’acte de punir, l’identité de l’instance qui punit sont peut-être indéchiffrables. De plus, cette formulation insiste sur l’acte, qui s’inscrit dans la durée
« Pourquoi » :
– pour quelle raison
– dans quel but
– à quoi bon
Pourquoi punir : le but, les causes, mais aussi les fonctions, le sens, l’utilité, la finalité, les origines et la légitimité du fait de punir.
Il faut distinguer la punition :
– de la vengeance : on pourrait penser dans un premier temps que la vengeance a un caractère subjectif (reposant sur le sentiment d’injustice) et la punition un caractère objectif (reposant sur l’établissement d’un critère institutionnalisé et collectivement reconnu d’infraction et de sanction).
– de la sanction : une réaction à une infraction, mesure prise par l’autorité face à cette infraction
– du châtiment : coercition physique ou morale + idée de souffrance
– de la répression et de la violence : certes la punition implique une forme de douleur (physique ou morale) mais aussi interroger les limites de l’humain entre ces termes, par exemple entre vengeance et punition
Questionnements :
– celui qui punit montre-t-il sa force ou sa faiblesse ?
– quel est le lien entre les punitions qui enseignent et celles qui sanctionnent ?
– quelle tension y a-t-il entre le statut particulier du dommage ainsi que de la punition, et l’ambition d’une portée plus générale de l’acte de punir ?
– à qui la punition est-elle utile ? À celui qui punit ou à celui qui est puni ?
On peut penser des alternatives à la punition en partant d’un autre type d’anthropologie : le pardon, l’oubli…
Problématique :
Il y a le paradoxe même de la punition : faire un mal pour obtenir un bien. On a une difficulté à penser une punition qui à la fois protège la liberté et passe par sa négation. Il faut interroger les problèmes de la logique morale posés par la punition, et qui rendent incompréhensible de vouloir corriger le mal par le mal, ou de contraindre pour libérer. La tension dans le sujet entre éducation et répression est présente.
Une légitimité qui a besoin d’un acte de violence pour se manifester comme telle ne se nie-t-elle pas précisément elle-même ?
Mais une opposition entre deux pôles :
– pôle rétributif tourné vers le passé, pour lequel la peine est une fin en soi, un mal qui doit répondre à un mal commis
– pôle curatif tourné vers l’avenir, où la peine n’est qu’un moyen, un mal qui doit permettre un plus grand bien futur.
Plan possible :
I-Punir pour maintenir l’ordre via l’asservissement : une rationalisation de la punition
a. La punition permet de contraindre les individus vivant en société pour régler leurs comportements.
En ce sens, la punition serait nécessaire, elle permet à la société de se maintenir et de vivre. On peut penser ici à la nécessité de penser donc une forme de rationalisation de la punition (voir les analyses de Beccaria, qui est en faveur d’une rationalisation de la punition (même s’il soutient l’idée d’un adoucissement des peines.)) Montesquieu, Esprit des lois (I,1) : « un être intelligent, qui a fait du mal à un être intelligent, mérite de recevoir le même mal ».
Les Lettres Persanes : exemple du sérail : la punition qui plane (et qui s’abat parfois) sur les membres du sérail permet de réguler leur comportement et de maintenir la hiérarchie au sein de ce microcosme, qui se déliterait bien vite si ses membres n’étaient pas sujets à la punition.
b. Punir pour empêcher la révolte et la libération
Le Discours : Voir le système tyrannique du tyran ; celui-ci peut avoir recours à la violence pour imposer son pouvoir, et la punition n’a ainsi pas de limite. Le peuple est sans cesse dans la contrainte, et ne se libère pas de l’oppression.
Une Maison de Poupée : Nora craint les réactions d’Helmer, elle a intériorisé la punition possible (si elle révélait la vérité). Elle est donc soumise et contrainte. Cela soulign le rôle de la peur, de l’anticipation de la punition.
Donc avec la punition il n’y a pas pas de révolte possible, ni collective, ni individuelle.
c. Punir c’est choisir une idéologie et des valeurs en confirmation avec un système en place, et les imposer aux individus pour réduire leur liberté de pensée et d’expression.
Les Lettres Persanes : on peut penser au rôle de la religion, qui impose un système de représentations bien spécifiques aux « fidèles » : si ces derniers ne respectent pas certains dogmes, alors ils méritent d’être punis.
Exemple d’Helmer avec Nora : il souhaite au début la punir, car elle aurait porté atteinte à son honneur et à sa virilité. Or il lui impose à ce moment un système de représentations bien spécifiques (en l’occurrence, soutenu par l’idéologie de la domination masculine).
II-L’illégitimité du recours à la négation de la liberté pour contrôler autrui et les comportements
a. Quelle légitimité du pouvoir punitif ? Dialectique des rapports entre pouvoir politique et pouvoir punitif
On se rend compte du lien entre l’intensification du pouvoir punitif et le déficit de « reconnaissance de l’autorité » ou de légitimité du pouvoir politique.
On peut renvoyer à la pensée des Lumières, et à la manière dont la critique de la « cruauté » des peines peut alimenter une mise en cause de la légitimité de la souveraineté monarchique.
Voir le tyran : plus le système est tyrannique et arbitraire, plus il est répressif, et a recours aux ressorts (physiques et psychologiques) de la punition.
Dans les Lettres Persanes, on voit que le despotisme de la Perse (régime politique illégitime en soi) admet au plus haut point le régime répressif et punitif, avec une intensification de la dureté des peines envers les « punis ». Lettre 102 : « L’usage où ils sont de faire mourir tous ceux qui leur déplaisent, au moindre signe qu’ils font, renverse la proportion qui doit être entre les fautes et les peines, qui est comme l’âme des États et l’harmonie des empires ; et cette proportion, scrupuleusement gardée par les princes chrétiens, leur donne un avantage infini sur nos sultans. »
b. Punir un individu, c’est faire de lui un esclave.
On pourrait penser qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise punition : contrairement à la réprimande, la punition ajoute nécessairement un élément de contrainte qui implique un désagrément, voire une douleur.
Donc existe t-il tout simplement une bonne façon de faire du mal à autrui, fût-ce pour son bien ?
Il pourrait paraître contradictoire de prétendre inculquer un comportement rationnel par le recours à la force, car traiter ainsi l’être humain revient à ne s’adresser qu’à la part instinctive, irrationnelle, qui est en lui. C’est ne pas le traiter en être raisonnable, c’est lui dénier une capacité rationnelle et raisonnable. La contrainte n’élève pas l’individu, au contraire.
C’est exactement ce qu’explique Michel Foucault, dans Surveiller et punir (1975).
c. Même dans une logique curative tournée vers l’avenir, on ne peut « forcer un individu à être libre » (Rousseau)
On ne peut imposer du dehors une morale à l’individu. Les représentations intérieures font l’objet d’un choix : l’individu doit être autonome dans ce processus. On ne peut imposer un comportement qu’on penserait comme une condition de la liberté : ne serait-ce pas une nouvelle servitude ? En ce sens, punir c’est toujours asservir. Et même si l’on est guidé par l’impératif de la liberté : la liberté ne s’impose pas, c’est à l’individu lui-même de la vouloir, et de se donner les moyens de la conquérir.
III-Dépasser la logique de la punition : une nécessité pour garantir la liberté
a. La faible efficacité de la punition et les effets négatifs (inverses) de la punition
La punition n’est pas une méthode adéquate, elle est inefficace au fond :
Lettres Persanes, Lettre LXXX (p:197) (Usbek à Rhédi, à Venise) : « Compte, mon cher Rhédi, que dans un État, les peines plus ou moins cruelles ne font pas que l’on obéisse plus aux lois. Dans les pays où les châtiments sont modérés, on les craint comme dans ceux où ils sont tyranniques et affreux ».
Michel Foucault, Surveiller et punir (1975) : « la prison est dangereuse, quand elle n’est pas inutile ».
La punition peut même avoir des effets pervers :
Lettre LXXX : « D’ailleurs je ne vois pas que la police, la justice et l’équité soient mieux observées en Turquie, en Perse, chez le Mogol, que dans les républiques de Hollande, de Venise, et dans l’Angleterre même ; je ne vois pas qu’on y commette moins de crimes, et que les hommes, intimidés par la grandeur des châtiments, y soient plus soumis aux lois. Je remarque, au contraire, une source d’injustice et de vexations au milieu de ces mêmes États. Je trouve même le prince, qui est la loi même, moins maître que partout ailleurs. »
b. C’est pourquoi il faut dépasser la logique de la punition : il vaut mieux éduquer plutôt que punir.
Il faut que les individus intègrent les règles sociales et soient désireux de les respecter, par adhésion personnelle plutôt que par peur de la punition.
Voir Nora à la fin de la pièce, qui refuse d’être potentiellement soumise à une punition qu’elle juge illégitime et arbitraire. Elle désire faire sa propre éducation pour construire un système de valeurs solide et personnel.
Les Lettres persanes sont une œuvre qui est un appel constant à l’éducation et qui en fait une apologie sur tous les niveaux.
C. La logique du pardon : la véritable définition de la liberté
N’oublions pas que la punition peut se rapprocher de la vengeance (dans l’optique rétributive tournée vers le passée) et se base sur le ressentiment (voir la révolte de Roxane!). Pardonner, c’est dépasser le ressentiment, c’est ne plus penser que l’on doit conduire moralement un individu (et donc le contraindre en le punissant), c’est ce dégager de cette logique qui n’est ni bénéfique ni légitime. N’oublions pas que punir, c’est supposer une infériorité de l’autre. Le pardon, c’est donc la condition aussi de l’égalité !
A quelques semaines des écrits, le thème servitude et soumission vous a beaucoup fait réfléchir ; il est temps de mobiliser ces réflexions au regard des problématiques proposées dans chacun des concours que vous passerez : le calendrier des écrits en prépa est très chargé, avec peu de temps pour revoir les angles d’étude sur le thème de français.
Rime Salmon
A propos de Rime
Elève de l’ENS Ulm en Lettres Modernes, j’enseigne le français aux élèves de prépas scientifiques avec Groupe Réussite en cours particuliers de francais et stages intensifs.
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