Le programme de Terminale de la spécialité humanité, littérature et philosophie est divisé en 2 semestres, contenant chacun, un thème principal ainsi que 3 sous-thèmes.
Thème du semestre 1 pour la spécialité HLP : La recherche de soi
- 1er sous-thème : Education, transmission, émancipation
- 2e sous-thème : Les expressions de la sensibilité
- 3e sous-thème : Les métamorphoses du moi
Thème du semestre 2 pour la spécialité HLP : L’Humanité en question
- 1er sous-thème : Création, continuités et ruptures
- 2e sous-thème : Histoire et violence (un autre article traite de ce sous-thème)
- 3e sous-thème : L’humain et ses limites
Dans cet article nous traiterons du sous thème “Education, transmission, émancipation”. Profitez de ce cours gratuit en plus de vos révisions personnelles ou de vos cours particuliers de philosophie pour gagner des points sur votre moyenne.
Introduction au sous thème Education, transmission, émancipation
Comment l’éducation peut-elle aider à la recherche de soi, à l’émancipation, à la construction de sa propre identité ? Telle est la question qui figure au cœur du programme officiel.
Ce programme propose, pour ce faire, un parcours historique et littéraire. Du point de vue historique, il invite tout d’abord à revenir sur la « double rupture », dans le domaine de l’éducation, portée par l’époque des Lumières – rupture par rapport aux « modèles d’éducation hérités de l’humanisme et de la Renaissance ». Par la suite, glissant du XVIIe au XIXe siècle, le programme nécessitera l’étude de la construction nationale des systèmes d’éducation, devenant peu à peu la « clé de la démocratie et des libertés » (dixit le programme). L’émancipation de l’élève-citoyen se construit alors certes sur un plan personnel, mais aussi dans le cadre de l’État-nation : se rechercher soi-même, c’est aussi se rechercher dans le corps social et national auquel on appartient.
A la suite de ce versant historique, le programme est donc composé d’un versant littéraire : il invite à s’intéresser aux « récits des souvenirs d’écoliers », qui permettent de mieux saisir la construction de l’identité dans l’environnement éducatif.
Enfin, le programme de spécialité Humanité, littérature et philosophie propose à l’élève, en guise d’ouverture, de s’interroger, à l’aune de cette étude, sur la « définition d’une éducation moderne » et sur « la question de la justice sociale et de l’équité au sein du système éducatif ».
Histoire, littérature, mais aussi sociologie et politique en dernier lieu : le programme conduit ainsi à étudier le système éducatif à travers une focale multiple, que nous reprendrons dans cet exposé.
I- De l’éducation humaniste à la rupture révolutionnaire
I-1 – Le modèle scolastique
Ainsi que le rappelle le programme, « l’époque des Lumières a marqué une double rupture avec les modèles d’éducation hérités de l’humanisme de la Renaissance. » Avant d’examiner ce modèle révolutionnaire, il convient donc, dans un premier temps, d’étudier ce modèle humaniste.
Il faut d’abord relever que ce modèle d’éducation humaniste s’inscrit lui-même en rupture par un autre modèle : l’éducation scolastique. La scolastique est l’exemple-type de l’éducation telle qu’elle prévalait au Moyen Âge. Il s’agit surtout d’un enseignement universitaire, dispensé dans les quatre types de facultés que compte le Moyen Âge en France (faculté d’arts, faculté de médecine, faculté de droit, et la plus prestigieuse, la faculté de théologie). Ne caricaturons pas l’enseignement au Moyen Âge, qui a bien des aspects modernes : l’enseignement y est libre et les universités jouissent d’un très haut degré d’autonomie, dont l’héritage se perçoit aujourd’hui.
Cependant c’est moins dans l’organisation administrative que dans la didactique que s’illustre « l’archaïsme » scolastique, que dénonceront les humanistes. Ces derniers reprochent à la scolastique d’être une éducation trop livresque, formelle, abrutissante ; les élèves doivent en effet mémoriser de longues séries de textes, sans forcément réfléchir sur leur contenu ; les exercices de mémoire, apprendre par cœur, réciter par cœur, les répétitions de pure forme prennent le pas sur l’esprit critique ou l’implication active. Rabelais (un grand humaniste) tournera ainsi en dérision cette éducation scolastique dans le Gargantua, en faisant réciter au géant des textes canoniques « à l’envers », ridiculisant l’excès formaliste de l’éducation scolastique.
I-2 – Le modèle humaniste
Les humanistes opposent ainsi, à ce modèle scolastique, un modèle alternatif. Celui-ci fait plutôt la part belle à l’esprit critique, à la liberté de penser, à l’ouverture disciplinaire, à l’éducation physique, à la connaissance de la nature, au goût de savoir et de connaître, au plaisir d’étudier. Ce modèle fonde aussi la figure de « l’honnête homme » humaniste, un modèle d’éducation qui aspire à une connaissance universelle, en toute matière.
L’exemple topique de cette éducation humaniste est livré par Rabelais dans la lettre de Gargantua à son fils Pantagruel (Pantagruel, chapitre 8, 1532). Gargantua y invite son fils à apprendre les langues, les sciences, les sciences naturelles, les « arts libéraux » (géométrie, arithmétique, musique), l’astronomie, la physique, le droit civil, la médecine, les écritures saintes… Vaste programme qui vise donc à faire de Pantagruel un « abîme de science » ! En rupture avec l’enseignement scolastique, cet enseignement doit se faire également sur la base d’un oral « vivant » ; l’élève doit respecter ses précepteurs, mais non craindre ses coups de bâtons. Il est par ailleurs particulièrement intéressant de remarquer que Rabelais invite, via Gargantua, à une certaine ouverture culturelle, originale pour l’époque : il enjoint en effet à s’intéresser aux « médecins grecs, arabes et latins, sans mépriser les Talmudistes et les Cabalistes ».
Outre Rabelais, Montaigne porte lui aussi ce modèle d’éducation humaniste. Dans le prolongement de Rabelais, le philosophe bordelais défend ainsi, dans les Essais, une éducation qui privilégie, à l’accumulation des connaissances, le raisonnement et l’indépendance critiques. C’est en sens qu’il faut comprendre sa formule : « Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine ».
Une troisième figure marquante de cette éducation humaniste peut être évoquée en la personne d’Érasme. A l’image de Rabelais et de Montaigne, Érasme défend, dans le Traité de civilité puérile (1530 ; puérile signifie « relatif à l’enfant », sans connotation péjorative), une éducation détachée de l’érudition abêtissante. A l’inverse de la scolastique qui installait l’élève dans une position passive, Érasme entend faire de l’écolier un individu actif, chez qui le goût du savoir l’invite à rechercher, par lui-même la connaissance.
Si cette éducation humaniste peut ainsi paraître très moderne, nous pouvons remarquer que certains « archaïsmes » continuent de l’imprégner. Deux d’entre eux peuvent être particulièrement évoqués. Tout d’abord, cette éducation humaniste continue de laisser une large place à l’étude de la religion et des écritures saintes. Dans la lettre de Gargantua, il est toujours rappelé que tout bon élève doit maîtriser les écritures saintes dans leurs moindres recoins. Ensuite, il convient de remarquer que le savoir est ici recherché pour lui-même, dans une dimension universelle qui vise la connaissance en soi, et non l’utilité ou la praticité des connaissances acquises. Le modèle révolutionnaire s’inscrira en rupture de ces deux éléments.
II – Le modèle républicain : vers l’émancipation
II-1 – Vers une école tournée vers l’utilité professionnelle et sociale
L’éducation du modèle révolutionnaire – c’est sa première caractéristique – promeut donc une éducation centrée vers l’éducation sociale et technique ; elle a pour priorité, dirions-nous aujourd’hui, « l’orientation professionnelle » des élèves. En soi, elle demeure un humanisme, mais un humanisme de la professionnalisation et de la technique, car il ne suffit pas que le citoyen soit bien instruit, il faut encore que son instruction profite à toute la société – ce qui est d’autant plus important dans une société plus démocratique, où chaque citoyen, parce qu’il participe politiquement à la cité, se doit d’y contribuer aussi matériellement. C’est d’ailleurs un thème au programme des cours de SES en terminale avec le chapitre sur le rôle de l’école dans la société.
Cette vision est au centre de L’Encyclopédie, dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers (1751-1772), la grande œuvre dirigée par Diderot et d’Alembert. Dans l’ensemble des entrées de ce dictionnaire, les auteurs mettent en avant les techniques et les sciences comme la mécanique, l’ingénierie, l’agriculture, l’architecture, si utiles à la société ; les métiers dits manuels sont ainsi réhabilités, peut-être paradoxalement, par des penseurs conceptuels et des intellectuels. Peu à peu la vision des Encyclopédistes infuse la société, et bien sûr sera au centre du programme des Révolutionnaires post-1789, en particulier à partir de 1795.
C’est en effet en 1795 (le 25 février) que grâce notamment à l’influence de Lakanal, la France crée, partout dans le pays, des Écoles Centrales. Celles-ci mettent donc l’accent sur les savoirs techniques, sur les sciences expérimentales, ancrant l’éducation dans la société mais aussi dans l’économie réelle. Pour le dire en quelques mots : l’éducation priorise désormais moins les idées que la production technique et scientifique. L’influence des philosophies utilitaristes du Royaume-Uni (Jeremy Bentham) et des États-Unis n’est pas non plus à négliger dans cette évolution sur le long terme.
II-2 – Éducation « révolutionnaire » pour l’émancipation de tous
Cependant l’utilité économique et sociale n’est pas la seule grande visée du projet révolutionnaire. Son corollaire est la démocratisation de l’éducation, son inscription dans le projet des Lumières qui vise à émanciper l’homme. Emmanuel Kant, dans l’opuscule Qu’est-ce que les Lumières, a ainsi fait de la « sortie de l’état de minorité », de l’âge de l’autonomie, le principe décisionnel des Lumières. Son ouvrage sur la pédagogie, Réflexions sur l’éducation, est bien sûr dans la lignée de cet enseignement : l’école doit avant tout consacrer l’idéal des Lumières de l’émancipation individuelle puis collective des individus. Kant invite à traiter chaque individu dans son potentiel d’émancipation, étant donné que « l’homme est la seule créature qui doive être éduquée » (dans le sens latin : e-duco, c’est-à-dire tirer ailleurs, faire sortir – de l’état de minorité).
Condorcet, le grand théoricien français de l’éducation révolutionnaire, a résumé ce projet émancipateur en quelques mots : « rendre la raison populaire ». Le projet révolutionnaire se base ainsi sur une éducation à la fois rationaliste (en rupture avec la religion principalement) et populaire (démocratique, en rupture avec un enseignement jugé trop aristocratique).
Il ne faut pas perdre de vue que ce projet éducatif vient à l’appui d’un projet politique global. Cette éducation révolutionnaire s’inscrit dans le cadre plus large de l’émancipation démocratique de la société, dans le sens où tous les citoyens (selon la Déclaration des droits de l’homme et des Citoyens, article 6) sont désormais « également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». L’égalité des espérances, selon la formule de l’abbé Sieyès, suppose ainsi l’égalité éducative pour assurer la transmission du mérite républicain.
Pour Condorcet, l’éducation est dès lors l’instrument, sur le long terme, de l’égalité entre les citoyens (article 1 de la DDHC), et l’instrument de la promotion sociale, grande promesse de la Révolution (abolition des privilèges durant la nuit du 4 août). Il est aussi à noter que Condorcet pense cette éducation tout au long de la vie, en cherchant à « embrasser tous les âges » – ce que nous appelons aujourd’hui la « formation continue »
Ce projet d’émancipation aboutit à la création, en 1802, des lycées, pour former l’élite de la nation et concrétiser la notion de mérite ; l’attribution de bourses formalise l’existence d’un système démocratique au mérite. Certes, les Révolutionnaires aspirent à avoir une élite, mais une élite fondée sur le mérite, non sur la naissance comme durant l’Ancien Régime.
II-3 – Une éducation plaçant au centre la psychologie de l’enfant, pour lui permettre de s’émanciper
La troisième grande caractéristique du modèle éducatif révolutionnaire est de placer l’enfant au centre de la pédagogie, d’affirmer pour la première fois l’importance de considérer l’enfant en tant qu’enfant, et non en tant « qu’adulte mesurant un mètre de moins ». Jean-Jacques Rousseau, dans l’Émile ou de l’éducation (1762), est le grand promoteur de cette approche, en avance sur son temps. « On ne connaît point l’enfance » écrit-il ainsi, « sur des fausses idées qu’on en a, plus on va, plus on s’égare ; les plus sages s’attachent à ce qu’il importe aux hommes de savoir, sans considérer ce que les enfants sont en état d’apprendre. Ils cherchent toujours l’homme dans l’enfant, sans penser à ce qu’il est avant d’être homme. (…) Commencez donc par mieux étudier vos élèves, car très assurément vous ne les connaissez point. »
Pour Rousseau, l’important n’est ainsi pas que l’enfant apprenne des tonnes et des tonnes de connaissances ; il faut que cette éducation lui soit personnelle, il faut que le maître fasse un effort pour accepter que les connaissances de l’enfant, compte tenu de sa nature, se construisent progressivement ; il ne faut pas taire les manifestations de l’enfance par les coups de bâtons, mais la laisser s’exprimer.
La conception rousseauiste de l’éducation inspirera Léon Tolstoï dans sa série de nouvelles autobiographiques Enfance, Adolescence et Jeunesse (1852-1857). L’écrivain russe plonge avec intimité dans l’outillage mental de l’enfance, en souligne les spécificités, la nécessité de respecter l’être intime de l’enfant et du caractère forcément progressif et tolérant de toute pédagogie. En somme, cette conception fait évoluer grandement la pédagogie, en la décentrant – le point focal passe des connaissances à l’enfant.
II-4 – Sous la IIIe république : la question de la démocratisation scolaire, du mérite et de la nation
Le modèle révolutionnaire d’éducation sera bien sûr une référence pour tous les Républicains de France durant le siècle suivant, et tout particulièrement au moment des « lois Ferry » du dernier quart du XIXe siècle. Cette construction du modèle républicain passe par trois grandes étapes bien définies : la démocratisation scolaire (ou début de massification) ; la promotion du mérite social, aspect républicain par excellence ; et enfin, la promotion du patriotisme républicain.
S’agissant de la démocratisation scolaire, par plusieurs lois et grandes avancées législatives, de plus en plus de jeunes de France franchissent le perron d’une école, et de plus en plus longtemps. Cette démocratisation n’est cependant pas à proprement parler républicaine à l’origine : dès 1833, sous la Monarchie de Juillet, Guizot fait voter une loi très importante, qui oblige chaque commune à payer un instituteur et à lui verser un traitement fixe. Cette décision n’est pas désintéressée. Pour Guizot, il s’agit aussi de contrôler la diffusion des connaissances, d’installer la légitimité du régime de la Monarchie de Juillet, et de contrer l’influence de l’Église (grande concurrente de l’État pour l’éducation), car elle milite davantage pour un retour à une monarchie de type légitimiste (alors que la Monarchie de juillet est orléaniste). La deuxième grande loi qu’il faut mentionner est la loi Duruy de 1867, prise pendant le Second Empire, mais dans sa période plus libérale. Cette loi oblige les communes de plus de 500 habitants à créer des écoles de filles, et à les rendre gratuites par l’octroi de subventions.
Mais c’est avec la IIIe République que le modèle que nous connaissons encore aujourd’hui va davantage se dessiner. Une loi de 1879 crée les écoles Normales dans chaque département, pour assurer la formation des instituteurs : là encore, l’ambition est de conforter la position d’un État laïque face aux clercs-instituteurs, forcément peu républicains. Puis viennent les grandes lois Ferry de 1881-1882 : gratuité scolaire, obligation de scolarité jusqu’à 16 ans, laïcisation de l’enseignement public, tel est le triptyque ferryste qui fait encore aujourd’hui référence. Notons aussi la loi Camille Sée de 1880, qui organise l’enseignement secondaire pour les femmes en France, qui est alors en avance sur le reste de l’Europe.
La démocratisation et l’école républicaine sert ainsi à diffuser un message laïque et rationaliste, à faire infuser les valeurs de la République et des Lumières dans la société. Cette démocratisation a une conséquence : la promotion du mérite républicain au rang de quasi-mythe constitutif du régime. Cette mobilité sociale est illustrée par de grands exemples : Édouard Herriot, Président du Conseil, est fils d’un officier sorti du rang de l’armée ; Albert Camus a une mère illettrée, et dédie d’ailleurs son Prix Nobel de Littérature 1957 à son ancien instituteur, Louis Germain ; enfin Charles Péguy est fils d’une rempailleuse de chaises (nous étudierons plus loin son récit).
Cette démocratisation, comme la promotion du mérite républicain, sont deux arguments servant donc aux Républicains pour propager les idées de la République, former la conscience nationale et ainsi pour identifier la Nation à la République. Rappelons-nous que même à la fin du XIXe siècle, la question du rétablissement de la monarchie était encore très sérieuse… Voici pourquoi l’école républicaine diffuse un message rationaliste et laïque, tout en cherchant à atténuer les différences régionales.
Par exemple Le Tour de la France par deux enfants, célèbre manuel de lecture scolaire d’Augustine Fouillée, publié sous le pseudonyme de Giordano Bruno en 1877, fait aimer la France aux jeunes enfants tout en diffusant des idées laïques et républicaines. Se forme ainsi un véritable roman national, qui marginalise les langues régionales, supprime toute référence religieuse, mobilise les consciences autour de la fameuse « Revanche » à prendre contre l’Allemagne (les belles cartes de France de Vidal de la Blache, affichées dans chaque école, montrent l’Alsace-Moselle avec un linceul ou barrées de noir). En somme, l’école républicaine se forme en formant la nation.
III – L’école racontée : les exemples de Vallès, Colette et Péguy
Jusqu’à présent, nous avons traité de l’éducation, de la transmission et de l’émancipation sous un angle d’abord historique voire philosophique. Or le programme officiel invite également à aborder ces questions sous l’angle de la littérature et notamment des romans (sous la forme de souvenirs d’écoliers). Rétroactivement, plusieurs grands écrivains sont ainsi revenus sur leurs parcours, leurs formations, apportant un éclairage complémentaire aux livres d’histoire.
III-1 – L’école des « Messieurs de la bachellerie » : dans L’Enfant, Jules Vallès ridiculise le système scolaire de son temps
Parmi les trois détours littéraires que nous allons faire, commençons par celui qui donna l’image la plus terrible de l’école de son temps : L’Enfant (1878) de Jules Vallès. Dans ce livre semi-autographique (Vallès raconte l’histoire de Jacques, mais il faut y lire son propre récit), l’auteur ridiculise le système scolaire de son enfance (durant les années 1840, donc sous la Monarchie de Juillet). La discipline extrême, le ridicule physique et intellectuel des professeurs, l’ennui qui y règnent, désolent Vallès. Il faut dire que l’école de ces années entendait encore faire la promotion du régime monarchiste et de la vérité religieuse ; or Vallès, au moment de l’écriture de son récit, était un anarchiste convaincu (il s’enthousiasma de la Commune de Paris).
La dédicace de L’Enfant est à elle seule explicite : Vallès adresse en effet un hommage « À tous ceux qui crevèrent d’ennui au collège ou qu’on fit pleurer dans la famille, qui, pendant leur enfance, furent tyrannisés par leurs maîtres ou rossés par leurs parents ». Que reproche-t-il au collège de son temps ? D’abord, les punitions physiques : on s’y fait régulièrement battre ; et il n’est pas question de trouver quelque réconfort dans la nourriture proposée, absolument immangeable. Vallès adresse ensuite des reproches politiques à cette école, qu’il accuse de faire la propagande de Dieu de manière répétée et abrutissante.
Enfin, pour mieux appuyer son propos, Vallès ridiculise les instituteurs et autres professeurs, qu’il appelle ironiquement les « Messieurs de la bachellerie », qui se croient savants alors qu’ils sont vaniteux. Ce ridicule est d’abord physique : Vallès se moque de « l’odeur de vieux » de son professeur de philosophie M. Beliben, et de son physique risible (« petit, fluet, une tête comme le poing, trois cheveux, et un filet de vinaigre dans la voix »). Le ridicule est ensuite intellectuel : M. Beliben s’efforce de prouver l’existence de Dieu « avec des petits morceaux de bois, des haricots », se moque Vallès, ce qui donne des passages comiques comme celui-ci : « « Nous plaçons ici un haricot, bon ! — là, une allumette. — Madame Vingtras, une allumette ? — Et maintenant que j’ai rangé, ici les vices de l’homme, là les vertus, j’arrive avec les facultés de l’âme. » L’école de Vallès ne veut ainsi pas transmettre, elle veut imposer, mais ce faisant, elle sombre dans le ridicule et le risible.
III-2 – Claudine à l’école, Colette, 1900 : l’apprentissage de la liberté féminine ?
C’est une toute autre image de l’école que donne Colette dans Claudine à l’école (1900). Là encore il s’agit d’un récit semi-autobiographique, dans la mesure où la Claudine du récit rappelle par bien des aspects la véritable Colette. Ce roman est bien sûr intéressant dans la mesure où il propose une ouverture sur l’éducation des filles (le récit se passe dans une école rurale au début du XXe siècle).
Cette éducation, certes, se veut traditionnelle et entend former les filles à devenir de « bonnes ménagères », avec l’éducation à la couture, etc. L’éducation morale est aussi cruciale : les institutrices invitent les filles à devenir probes et respectueuses, sages, afin d’être une « épouse fidèle », une « ménagère économe, prévoyante » et une « mère tendre sans faiblesse ». Les jeunes filles sont aussi formées, de manière théorique, aux travaux des champs, puisque l’on se situe dans le cadre d’une école rurale.
Mais le tableau donné par cette école est plus complexe : par les livres et la liberté qu’on lui laisse, par la tolérance (ou la négligence) des institutrices, l’école est aussi, pour Colette, le lieu de l’émancipation féminine. Le roman nous propose ainsi une véritable plongée dans des interdits : premiers amours avec des garçons (malgré la non-mixité des écoles), liberté de pensée piochée dans les livres, les tricheries répétées aux examens… En somme, l’école de Colette est une école renversée, où l’invitation à la tradition devient une invitation à la liberté. A bien des égards, les filles, contrairement aux enseignements prodigués, font tout pour ressembler aux garçons (elles jouent aux cayens, c’est-à-dire des billes, elles font des concours de crachats, elles se battent à coup de poings). Claudine est d’ailleurs celle qui s’éloigne le plus des normes en vigueur et son institutrice la présentera même comme un « terrible garçon ».
En somme c’est une image finalement moderne et positive qui ressort de cette école rurale, qui est le lieu d’apprentissage de l’émancipation et de la liberté. Bien entendu, ce roman fit scandale à l’époque, sans doute parce qu’il était en avance sur son temps.
IV-3 – L’Argent de Charles Péguy : Les Hussards noirs de la République.
L’image la plus positive qui ressort de cette éducation républicaine est celle qui est donnée par Charles Péguy dans L’Argent (1913). Péguy, fils donc d’une rempailleuse de chaise, est repéré par son instituteur d’Orléans qui l’envoie à l’école normale ; Péguy sera même l’exemple topique de la méritocratie républicaine puisqu’il accédera à l’École Normale Supérieure, lancera une revue, parviendra au prestige littéraire, dont la postérité est aujourd’hui remarquable.
C’est à Péguy que l’on doit l’expression « hussards noirs » pour caractériser les instituteurs de la IIIe République dans cet extrait célèbre de L’Argent (1913) : « Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs. Sveltes, sévères, sanglés, sérieux et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence. » La comparaison des instituteurs avec des militaires (ceux du « fameux cadre noir de Saumur ») n’est pas innocente : nous sommes en effet en pleine gestation de la « Revanche » face à l’Allemagne, après la guerre de 1870-1871, si bien que l’éducation louée par Péguy est aussi une invitation au patriotisme, à l’amour de sa nation, quoique lointaine du nationalisme. Les écoliers apprennent l’histoire de France dans le « Lavisse », qui construit le roman national à travers des gravures marquantes, un enseignement basé sur la chronologie, et l’embellissement de certains récits nationaux (Vercingétorix, Saint-Louis…) pour donner une meilleure image de la France – mais la simplification de la présentation de l’histoire nationale est peut-être indispensable pour des jeunes gens.
Dans Péguy se perçoit le mieux l’identification progressive entre l’école républicaine, la démocratie et la méritocratie : ce triptyque fonctionne comme un tout et Péguy fut peut-être son théoricien le plus accompli.
Conclusion : justice sociale et système scolaire aujourd’hui ?
Quelle justice sociale dans le système scolaire d’aujourd’hui ?
La méritocratie républicaine tant louée par Péguy figure donc encore aujourd’hui au rang de mythe ; mais à l’image des autres mythes de la Grèce antique, est-elle encore une réalité ? Le programme officiel de la spécialité humanité littérature et philosophie invite justement, en guise d’ouverture, à se questionner sur la question de la justice sociale et de l’équité du système éducatif.
Le constat n’est hélas pas reluisant. D’un côté plus positif, on peut certes noter la poursuite de la massification scolaire, autre nom de la démocratisation. L’historien de l’éducation Antoine Prost a ainsi évoqué une « explosion scolaire » dans le sillage de mai 68. La France construit par exemple un collège par jour entre 1966 et 1975. La loi Haby, de 1975, organise le collège unique dans un but d’égalité, en supprimant les filières distinctes. Sous François Mitterrand, le ministre de l’éducation Jean-Pierre Chevènement indique son désir de voir une écrasante majorité de jeunes devenir bacheliers : objectif tenu aujourd’hui avec un fort taux de réussite au bac, que ce soit par les résultats de bac pro ou les résultats au bac général, même si c’est au prix, selon certains, d’une baisse générale du niveau.
Cette démocratisation n’est cependant pas allée de pair avec une progression pareille de la justice et de l’équité du système éducatif. De fortes inégalités demeurent en effet, si bien que selon l’OCDE, la France est l’un des pays où la réussite scolaire est la plus conditionnée par l’origine sociale. Ainsi, 80 % des enfants de cadres ont le bac, contre 52 % des enfants d’ouvriers. Cette « inégalité des chances » a été théorisée dès 1971 par Raymond Boudon, lequel insiste sur l’autocensure des familles ouvrières s’agissant des études (même s’ils en ont les moyens, les enfants d’ouvriers ne poursuivent pas de bonnes études par autocensure sociale).
C’est in fine le concept même de méritocratie républicaine qui se retrouve aujourd’hui sous le feu des critiques : en effet, la méritocratie est perçue comme une « fausse prime au mérite », dans la mesure où un fils d’ouvrier qui obtient le bac avec 12 / 20 de moyenne a sûrement plus de mérite qu’une fille de professeur d’université obtenant son bac avec 14.5 / 20 de moyenne. Marie Duru-Bellat a ainsi clairement opposé « le mérite contre la justice », pour reprendre le titre d’un de ses livres ; selon elle, le mérite ne serait plus qu’une « fiction utile », une croyance nécessaire dans un monde juste, pour conserver la reproduction sociale des élites.
Les espoirs se tournent donc vers un système scolaire plus juste et plus équitable. Mais comment prendre en compte ces différences palpables sans pour autant introduire des quotas ou des diplômes moins sélectifs, qui ne manqueraient pas d’être dévalués sur le marché du travail ? L’idée qui prévaut ces dernières années est de lutter, de manière précoce, aux origines, contre ces inégalités : par exemple par l’octroi de bourses ou le dédoublement des classes de CP et CE1 en REP et REP +. En tout état de cause, cette politique demandera aussi des moyens supplémentaires, alors que les salaires des enseignants français sont bien en-dessous de la moyenne de l’OCDE.
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Ulysse Grasset
Ancien élève de prépa Khâgne A/L à Louis Le grand, diplômé de l’ENS Ulm et d’HEC, je contribue au blog de Groupe Réussite et je donne des cours particuliers aux élèves de prépa.
Nice !