Découvrir la philosophie en Terminale grâce à Descartes
Descartes n’est pas, contrairement à une certaine idée reçue, un philosophe facile. Au lecteur confronté au style complexe de La phénoménologie de l’Esprit ou de l’Ethique, Descartes impose une autre forme de difficulté, qui est celle de la facilité. Il nous fait prendre conscience que rien n’est plus complexe que la simplicité. Descartes prévient lui-même ses lecteurs dans la préface des Méditations : « Je crains qu’il n’y ait encore guère personne qui ait entièrement pris le sens des choses que j’ai écrites, ce que je ne juge pas néanmoins être arrivé à cause de l’obscurité de mes paroles, mais plutôt à cause que, paraissant assez faciles, on ne s’arrête pas à considérer tout ce qu’elles contiennent ».
Le doute ou le révélateur du “je pense” en philo en Terminale
L’épreuve du doute chez Descartes en philosophie en cours de Terminale
La recherche de la vérité commence par le doute, pour mieux s’arracher à la confiance aveugle de l’enfance, pour n’accepter que les vérités que nous serons-nous même capable d’établir. Ainsi notre esprit sera débarrassé de l’illusion (≠ erreur, voir la distinction en classe) et nous serons à même de détenir des vérités.
L’objet du doute porte d’abord :
- Sur les vérités reçues d’autrui. En effet accepter les vérités que j’ai reçu d’autrui, c’est transférer l’exercice de mes capacités rationnelles à ce dernier. Or, rien ne me dit que celui qui m’a transmis cette vérité a su user de son appareil rationnel de la meilleur manière qu’il soit. Pour éviter l’erreur, je me dois donc de douter de toutes ces vérités.
- Puis, les vérités qui me viennent des sens me semblent être également un objet légitime de doute (cette tour au loin me parait carré, quand je plonge le bâton dans l’eau il me parait brisé). Rien ne me dit que l’impression sensible que j’ai est réelle. (Cf. Hallucination, n’oublions pas que Calderon publie La Vie est un songe en 1635, deux ans avant le Discours de la méthode). Je pourrais donc très bien être en train de rêver, si bien que tout ce qui m’entoure ne serait pas nécessairement réel. C’est un vrai tour de force à l’interprétation scolastique et thomiste d’Aristote, qu’on enseignait à l’époque à la Sorbonne, consistant à affirmer qu’il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait été d’abord dans les sens.
- Mais reste des vérités qui,elles, paraissent indubitables. Les vérités mathématiques s’accompagnent d’un sentiment d’évidence que nul ne saurait remettre en cause. En effet, si je peux douter de l’utilisation de ces vérités, dont l’usage est courant pour le physicien ou l’économiste, ces vérités sont nécessairement vraies pour elle-même (un plus un sera toujours égal à 2). Or,nous sommes bien incapables d’expliquer ce sentiment d’évidence. D’où vient-il ? Quelle en est la cause ? On peut alors légitimement poser l’existence d’une créature, d’un « Malin Génie », qui pourrait me troubler jusqu’à l’évidence même de mes raisonnements mathématiques. En effet, rien ne me prouve qu’il n’existe pas une créature qui vienne mettre en mon esprit un sentiment d’évidence, pour une vérité qui n’en a pourtant pas l’attribut. A ce stade, le doute cartésien est qualifié d’hyperbolique (l’hyperbole est une figure de la rhétorique baroque qui vise à l’outrance et l’extravagance).
Ainsi Descartes ne doute pas seulement de l’incertain, mais aussi du vraisemblable. Le doute n’est pas une nouveauté à l’époque de Descartes, on peut en trouver les traces chez des auteurs sceptiques comme Montaigne (Les Essais). La nouveauté cartésienne réside dans le fait que ce doute est méthodique. Autrement dit ,Descartes ne doute pas au fil de ses pensées, en vue de montrer que tout ordre du monde est fictif, le doute suit un parcours régulier, méthodique, dont l’objectif est l’obtention d’une vérité certaine. Il commence en effet par douter du monde sensible, puis ensuite du monde intelligible, c’est à dire des représentations formées par l’entendement et non reçues par les sens.
Nous avons donc vu que toutes les vérités que nous possédions reposaient sur un socle de confiance illégitime. Il semble alors qu’il n’y ait aucune idée qui ne puisse mériter, en nous, le statut de vérité (cf. définition de la vérité vue en cours).
Découvrir le cogito de Descartes en philo de Terminale
Tout proche de sombrer dans une forme de folie, doutant non seulement de toutes les vérités reçues par autrui mais de tout ce qui provient des sens et même de ce qui semblait le plus stable et le plus nécessaire- les vérités mathématiques- dans mon entendement, Descartes va trouver une issue au sein d’une expérience spirituelle. Car si je peux douter de tout, il reste en l’instant présent, quand ma pensée se prend- elle même pour objet, une évidence indubitable.
Quand j’affirme que 2 + 2 = 4, je peux douter du contenu de cette proposition (cf. le malin génie), mais je ne peux douter du fait que je pense. Ainsi, la seule proposition immédiatement vraie qui s’impose à mon entendement réside dans le « je pense ». La première évidence est donc l’évidence de la pensée se prenant elle-même pour objet. Et puisque je pense, je ne peux donc douter de mon existence. Ainsi « ego sum, ego existo » ou comme le reformulait Descartes dans le Discours de le Méthode « cogito ergo sum », « je pense donc je suis ».
Qu’est-que le cogito de Descartes en philosophie ?
Il faut prendre ici le verbe être au sens de l’existence. L’auto-saisie de l’âme par elle-même n’est pas la prise de conscience du « je » individuel et singulier. En pensant, je ne me saisis pas en tant que je suis cet individu, appartenant à tels groupes sociaux et ayant tels gouts. C’est la pensée elle-même que je saisis, et c’est d’ailleurs à ce titre que l’on peut très bien user du « je » dans une dissertation de philosophie. Car ce n’est pas le « je » individuel dont l’on se sert, mais d’un « je » impersonnel qui se rapporte à l’activité pensante de chaque être humain. Quand Descartes écrit « je pense », il ne veut donc pas dire « moi, en tant que je suis René Descartes, je pense » mais « moi, en tant que je suis un sujet pensant », en tant que je suis un esprit assez attentif pour s’apercevoir lui-même, en tant que je suis un humain et non un automate, je pense et donc j’existe.
Les Méditations ne sont donc pas un journal intime qui viendrait inscrire l’évolution de la personnalité de Descartes, mais un itinéraire spirituel qui conduit l’intelligence vers la conscience d’elle- même. D’ailleurs, l’expression « ego sum, ego existo » ne porte pas de nom propre. Descartes explique que son objet est de mettre en évidence la « substance pensante » (res cogitans). Cette intuition première se rapporte non pas à une existence singulière, mais à l’existence en général, à la vérité de l’être en tant que tel.
C’est donc par un exercice spirituel que Descartes nous fait réaliser que la pensée, immédiatement, nous fait prendre conscience de notre existence. Ce n’est nullement par un syllogisme qui consisterait à affirmer :
- A : Je pense
- B : Or tout être qui pense existe
- C : Donc j’existe
Descartes l’écrit lui-même : « Quand nous apercevons que nous sommes des choses qui pensent, c’est une première notion qui n’est tirée d’aucun syllogisme ; et lorsque quelqu’un dit je pense, donc je suis ou j’existe, il ne conclut pas son existence de sa pensée comme par la force de quelque syllogisme, mais comme une chose connue de soi ; il la voit par une simple inspection de l’esprit. Comme il paraît de ce que, s’il la déduisait par le syllogisme, il aurait dû auparavant connaître cette majeure : Tout ce qui pense est, ou existe. Mais au contraire elle lui est enseignée de ce qu’il sent en lui-même qu’il ne se peut pas faire qu’il pense, s’il n’existe » Méditations Métaphysiques (375-376).
Le cogito, puissance de l’esprit se découvrant lui-même, est le point fixe et immobile que nous cherchions pour échapper à la juridiction du Malin Génie. Et c’est grâce au doute que la pensée a pu s’apercevoir elle-même. En effet, quand ma pensée considère une proposition, elle se détourne d’elle-même pour analyser cette dernière. Ce n’est que quand mon esprit est débarrassé de toutes les notions qu’il contenait auparavant qu’il peut alors, en dernier recours, se pencher sur sa propre activité, me faisant découvrir l’évidence que je cherchais : le cogito.
P.S. : la philosophie cartésienne, fondée sur l’évidence de la pensée se prenant elle-même pour objet, n’est donc guère cartésienne puisqu’elle n’est pas fondée sur une déduction mais sur une intuition.
Nous sommes donc amarré à notre unique certitude du cogito, mais toujours entouré de notre océan de doutes. Nous savons finalement peu de choses. Je ne sais pas si le monde que je perçois existe (il se peut que je rêve), je ne sais pas ce qu’est mon corps et je ne connais mon âme que par l’activité de la pensée qui s’exerce en moi. Toute ma connaissance se résume à l’activité pensante qui me fait accéder à l’être. Comment pourrions-nous avancer sans tomber dans la juridiction du Malin Génie ?
Du cogito à l’idée de Dieu en philosophie en Terminale
Nous sommes donc à la recherche d’une autre vérité que le cogito, qui, même s’il ne nous a pas apporté d’autres vérités pour le moment, peut être envisagé comme un « échantillon de véracité ». Le cogito m’apprend que la vérité se reconnait à sa clarté (l’illumination de la pensée quand elle se découvre elle- même) et à sa distinction (la clarté de l’évidence m’a fait comprendre que la pensée était absolument distincte du corps). Nous recherchons donc des « idées claires et distinctes ».
Faisons le point sur les idées que possède notre entendement. Nous pouvons les classer en trois catégories :
- Les idées innées : elles semblent provenir de notre entendement (comme le cogito) mais puisqu’elles naissent dans notre esprit, elles ne paraissent pas pouvoir nous renseigner sur les vérités des choses du monde
- Les idées adventices : elles semblent venir d’ailleurs que de mon entendement (les sens)
- Les idées factices : elles sont forgées par mon entendement
Toutes ces vérités sont toujours sous la juridiction du malin génie. Je suis donc prisonnier dans la cellule du cogito, ma seule évidence. Comment puis-je faire pour posséder d’autres vérités ?
Œuvre dissolvante du temps ou découverte de l’existence de Dieu en philo
Avant de continuer plus loin dans notre recherche de vérité, une objection semble pouvoir être faite sur la découverte du cogito. Cette objection fut posée à Descartes par Hobbes, mais aussi par un jeune étudiant, Burman, dont on ne connait aujourd’hui que le nom : « Mais de quelle manière pouvez-vous être conscient, puisque être conscient c’est penser ? Pour penser ceci, que vous êtes conscient, vous passez à une autre pensée, et ainsi, vous ne pensez pas plus longtemps à la chose à laquelle vous pensiez auparavant, et ainsi vous n’êtes pas conscient de penser, mais d’avoir pensé » (Pléiade 1359)
En effet, le « je pense » de Descartes est en réalité un « je pense que j’ai pensé », si bien que le cogito me parait prendre conscience de mon existence non plus immédiatement, mais à l’instant auparavant. L’évidence du cogito n’est donc pas indivisible, et explose en une série indéfinie d’instant. A aucun moment, nous pouvons prendre conscience immédiatement de notre existence. Ainsi, à ce moment même, il serait fort possible que je n’existe pas, je ne peux donc avoir qu’une certitude : le fait que j’ai existé à un temps t-1.
La réponse de Descartes est alors surprenante. Rappelons-nous, le cogito se fonde sur une expérience spirituelle, celle de la pensée s’apercevant elle-même. C’est donc que le « je pense donc je suis » démontre par le fait que la pensée dure en se réfléchissant-elle-même, qu’elle réussit à s’affranchir de l’oeuvre dissolvante du temps. L’analyse discerne donc un pouvoir de durer, de l’emporter sur le temps dans le seul acte de penser, le pouvoir surhumain de persévérer contre l’érosion temporelle.
Cette force, qu’on ne réussit pas à diviser, est donc la créature d’un Créateur tout puissant, et c’est ainsi la première prise de conscience de l’existence de Dieu, qui me donne cette puissance infinie qui est capable de durer. Ainsi, comme le rappelle Jacques Dariulat le « je pense donc je suis » doit être compris comme un « En ce présent, en chaque moment présent incompréhensiblement continué, par une sorte d’incompréhensible prolongation du sursis de l’existence, Dieu, c’est-à-dire cette puissance infinie qui est capable de susciter l’être du néant, me crée et me recrée, me soutenant miraculeusement dans l’existence, me maintenant dans l’éternité de la pensée, et me sauvant du naufrage, de la liquidation de la conscience de soi dans l’eau courante du temps ».
La preuve par les effets chez Descartes en Terminale
Descartes va alors mettre en évidence un deuxième chemin qui mène du cogito à Dieu. Pour bien saisir ce texte difficile, il faut revenir sur la distinction scolastique employée par Descartes. Il faut en effet distinguer :
- La réalité objective : c’est la manière d’être de l’idée dans l’entendement, son intensité, son degré d’être. La réalité objective d’une table est par exemple la manière d’être de la table dans mon esprit, comment je me la représente etc…
- La réalité formelle : la réalité de l’objet lui-même qui se représente dans l’idée. On dit qu’un objet s’y représente formellement quand l’objet est identique à sa représentation dans mon esprit, ou qu’il s’y représente éminemment quand l’idée ne suffit pas à décrire pleinement tout le contenu de l’existence quand il est dans mon objet.
Regardons maintenant les idées contenues dans mon esprit. La réalité formelle de ses idées est bien inférieure à celle de mon être. En effet, ces existences sont des attributs que je peux trouver en moi-même : la pensée, la durée, le nombre, l’étendue. Je peux me représenter la chaise par des notion que j’ai en moi- même (l’étendue notamment). Je peux donc en être l’origine.
Or l’idée de Dieu ne suffit pas à décrire pleinement tout le contenu de l’existence de Dieu. En effet, je n’ai accès en moi qu’à des vérités finies (le cogito est bien une vérité finie, puisque nous avons vu qu’il ne permettait pas d’accéder à d’autres vérités). A l’opposée, l’existence de Dieu est infinie. Je ne peux donc avoir été à l’origine de l’idée de Dieu dans mon esprit. J’en conclus donc que son origine ne peut venir que de Dieu lui-même, et qu’il doit également être à l’origine du cogito. C’est ainsi que je découvre également la preuve de l’existence de Dieu, en ayant pris conscience de ses effets.
Expliquer l’erreur grâce aux Méditations de Descartes
Nous avons donc pris conscience de l’existence de Dieu, être parfait. Cette prise de conscience nous permet de mettre en échec le Malin Génie. En effet, un être parfait ne nous laisserait pas nous tromper tout le temps, à chaque instant où nous faisons usage de nos facultés rationnelles. Il est donc possible de continuer notre recherche de la vérité.
Pourtant, il arrive que je me trompe, c’est un fait. Je crois voir cette tour carré..etc. Comment se fait- il alors que je puisse me tromper ? On voit ici que la perspective s’est inversée. Nous cherchions au début de notre parcours comment il peut être possible d’accéder à la vérité, nous cherchons désormais à savoir comment nous pouvons occasionnellement nous tromper.
Revenons un petit peu en arrière en analysant notre esprit. C’est ainsi que la « chose qui pense » est, selon le pas de la méthode, tantôt entendement (faculté d’apercevoir l’évidence) et tantôt volonté (élan qui porte l’esprit vers des vérités toujours nouvelles). Ce couple métaphysique trouve son illustration dans le célèbre ouvrage de Cervantès, Don Quichotte où l’on découvre Don Quichotte, toujours mû à se précipiter vers de nouvelles contrées et Sancho Pança, qui s’en tient toujours aux choses déjà découvertes. Notre esprit se divise donc en un entendement, qui aime jouir des connaissances acquises quitte à parfois entraver l’arrivée de nouvelles connaissances en refusant de vouloir douter des vérités que nous possédons, et une volonté qui tend toujours à acquérir de nouvelles vérités au risque d’aller parfois un peu vite en besogne, en prenant pour connaissance ce qui n’en a que l’apparence. L’entendement se concentre donc sur l’évidence, alors que la volonté veut toujours aller au-delà.
Il y a donc deux causes d’erreur :
- La prudence de l’entendement : qui s’accroche à ses vieilles certitudes, refuse l’épreuve du doute et la reconnaissance de la nouvelle évidence
- L’emballement de la volonté : prend parfois pour vérité de propositions qui n’en ont que l’apparence.
Il suffit donc, pour bien conduire ma raison, de discipliner mon entendement et de réfréner l’élan de ma volonté. Il s’agit à la fois de modérer le pas de la volonté et de concentrer l’entendement sur le seul point de l’indubitable évidence faite de clarté et de distinction.
Fondement de la nouvelle science en philosophie en Terminale
Réforme du processus de connaissance par Descartes
Descartes entreprend une véritable rupture avec la science médiévale, connaissance herméneutique qui était donc technique d’interprétation fonctionnant selon la loi de l’association des idées. Si la noix ressemble à un cerveau humain, c’est qu’elle est prédestinée à guérir les maux de tête. La connaissance est ainsi enrichissement d’un tissu symbolique.
La méthode cartésienne anéantit ce modèle, non seulement parce qu’il est aisée de voir que ce modèle est contradictoire (permettant de montrer une thèse et son contraire), mais surtout parce que les idées dans la philosophie cartésienne sont jugées pour elles-mêmes (selon leur clarté et leur distinction) et non en fonction du tissu symbolique dans lesquelles elles s’inscrivent. La science, pour Descartes, n’est donc plus un réseau d’interprétations mais un enchainement progressif d’évidence en évidence.
Les prémisses des cours de maths chez Descartes
Après cette petite aparté, retournons à la recherche de l’évidence, idée claire et distincte, concernant le monde extérieur. Il s’agit alors d’user d’une autre faculté que l’entendement, faculté de l’esprit se prenant lui-même pour objet, propre à la métaphysique. Cette faculté, c’est l’imagination qui pour Descartes peut prendre deux chemins :
- L’imagination sensible : qui me permet d’assembler dans mon esprit en une idée plusieurs formes rencontrées par nos sens (l’hippogriffe qui est mi-aigle mi-cheval)
- L’imagination intellectuelle : qui me permet de concevoir des figures géométriques que je ne rencontre jamais dans les images que me fournissent mes sens
Si l’entendement est la faculté de l’esprit que nous avons utilisé en tant que métaphysicien puisqu’il permet à l’esprit de se concevoir lui-même, l’imagination représente bel et bien un effort. Il s’agit pour l’esprit de se détourner de la substance pensante pour se tourner vers le monde extérieur, soit la chose étendue.
L’imagination intellectuelle va plus loin que le simple tracé des figures dans l’espace euclidien, car il me permet ensuite d’algébriser ces figures. Par exemple, une ellipse n’est pas une forme ovoïde, mais une équation telle que , a et b étant le grand et le petit axe de l’ellipse. Ainsi, dans mon esprit, grâce à mon imagination intellectuelle, je peux concevoir une infinité de figures qui peuvent être connues avec une parfaite clarté et distinction, et alors enrichir ma pensée de toute la connaissance infinie. Je peux donc éprouver la puissance infinie des mathématiques, qui me permettent d’enrichir mes connaissances.
N.B : puisque pour Descartes les mathématiques est une science de l’imagination, il se méfie de l’abstraction excessive de l’algèbre. C’est ainsi qu’il inventa les coordonnées cartésiennes afin de représenter en une courbe une équation établie par le pur calcul.
Ainsi, avec les mathématiques, je fais l’expérience de la puissance infinie de ma connaissance qui, comme nous l’avons-vu, ne peut venir que de Dieu. C’est ainsi qu’on peut rétorquer à Kant, mettant en cause la troisième preuve de l’existence de Dieu par Descartes, qu’il est bien question ici de faire l’expérience de Dieu. En effet, la troisième preuve de l’existence de Dieu de Descartes consiste à dire que puisque Dieu est un être parfait, il ne pourrait pas ne pas exister puisque, privé de la propriété d’existence, il ne serait plus parfait. Pour Kant, dans la Critique de la raison pure, ce n’est pas parce qu’un être parfait qui n’existe pas est impossiblement concevable qu’il n’est pas réel. Pour démontrer l’existence d’une chose, il faut en faire l’expérience. Or, c’est cette expérience que nous faisons, selon Descartes, lorsque nous éprouver la fécondité des mathématiques.
Mais pourquoi Descartes a-t-il besoin de prouver une nouvelle fois l’existence de Dieu, alors que cette preuve a déjà été faite auparavant (Méditation III) ? C’est que la découverte de la fécondité des mathématiques nous donne, comme nous l’avons dit, l’expérience de Dieu non plus dans la perception de l’évidence (le cogito) mais dans l’enchainement du discours ne tendant pas vers un système fini mais bien vers l’infini. Puisque l’enchainement des vérités mathématiques n’a pas de fin, j’aperçois par là même l’inépuisable puissance divine.
Le retour au monde extérieur en philosophie en Terminale
Nous ne pouvons cependant pas nous arrêter à la science mathématique. Nous avons découvert l’essence des choses du monde (leur étendu, représentable dans un espace euclidien puis algébrisable, cf. morceau de cire). Toutefois, nous ne sommes pas encore convaincu de l’existence du monde extérieur. Néanmoins, contrairement aux premières méditations, je sais que les impressions des sens doivent avoir un lien avec la réalité objective des choses extérieures. En effet, je possède en moi une très grande inclination à inférer à partir de mes impressions sensibles l’existence des choses du monde (je vois cette chaise, il me semble qu’elle existe »). Il doit donc bien exister quelque chose, qui est relié à cette chaise, car dans le cas contraire la nature serait perverse et Dieu imparfait.
Descartes est d’ailleurs ici peu chrétien. Il fait de la nature une instance bonne, dont il faut écouter les leçons. A l’inverse, pour Pascal, la nature est corrompue, elle est ce qui nous déchoit de notre condition et ce dont il faut s’extirper pour la grâce.
Certes, il faut écouter la nature mais il ne faut pas suivre son enseignement aveuglement. Rien ne me garantit que la chaise que je vois est conforme à la chaise telle qu’elle existe indépendamment de mon point de vue.
On peut d’abord remarquer que la totalité des sensations peut se diviser en deux catégories:
- Les sensations qui proviennent du monde (le ciel est bleu)
- Les sensations qui proviennent de moi (j’ai la nausée)
Considérons d’abord les corps extérieurs. Il faut bien voir qu’il semble avoir une différence importante entre la réalité des choses du monde et l’image qu’elles me renvoient (le soleil me parait avoir la taille d’une orange alors que les astronomes m’apprennent qu’il a un diamètre de 700 000km ). Je ne sais qu’une chose, c’est que l’essence des choses extérieures est l’étendue, espace euclidien se basant sur l’ensemble des relations de distances mesurables dans le système de coordonnées cartésiennes.
Ainsi, je peux mathématiser ce que je nomme la nature, et la dépouiller de toutes les impressions sensibles qui me trompent. Pour connaitre en effet, il me suffit de reconstruire l’essence des choses extérieures, soit le système des interactions physiques, dans les coordonnées de la géométrie. Ainsi, l’intelligence mathématique me permet de corriger mes sensations trompeuses pour découvrir l’essence des choses du monde.
L’exemple parfait se trouve dans la loi des chutes libres des corps. L’ancienne physique d’Aristote postulait que la vitesse des corps dépend :
- Du poids des objets (plus on est lourd plus on tombe vite)
- De la résistance dans le milieu (il est plus facile de courir dans l’air que dans l’eau)
Si je ne considère que les idées claires et distinctes, je pose que l’espace parcouru par un corps en chute libre est fonction de sa vitesse et du temps mis à le parcourir. C’est la définition même de l’idée de vitesse (relation de l’espace au temps). Je n’ai donc besoin d’aucun apport des sens pour établir cette relation, puisque seule les évidences mathématiques sont à l’origine de ce calcul. Ainsi, l’espace parcouru est égal à la vitesse moyenne que multiplie le temps mis à le parcourir soit v= γt, où γ est un coefficient d’accélération de la vitesse nommé « force de gravitation ». Cette loi est donc paradoxale pour les sens, puisqu’elle démontre que tous les corps tombent selon une même loi (une équation mathématique), indépendamment de leurs poids.
Ainsi, l’erreur provient du fait que je me laisse abuser par mes sens, sans extraire de l’image sensible par l’imagination intellectuelle les évidences mathématiques qui forment l’essence même des choses extérieures. Mais une difficulté persiste : comment se fait-il qu’un Dieu bon, ne voulant pas toujours me tromper, me fasse apparaitre d’abord une image sensible trompeuse et non pas d’abord l’essence mathématique des choses ? Pourquoi vois-je une pierre tomber et non pas une équation du second degré ?
La raison est que mon âme n’est pas indépendante du corps, mais est incarné dans ce monde. Si je ne voyais qu’une équation au lieu d’une pierre qui tombe, je ne songerais nullement à me mettre à l’abri. Je dois ainsi remercier Dieu de voir le soleil comme une orange et cette pierre qui fond sur moi comme une montagne, puisque j’ai bien plus à craindre de l’impact de cette pierre que du soleil. C’est donc pour une raison pratique, et non spéculative, que Dieu a fait d’abord apparaitre l’image sensible.
Il en va de même pour les sensations qui proviennent de moi. L’âme n’est pas « comme un pilote dans son navire », où la brulure serait un voyant qui s’afficherait sur un tableau de bord. Dieu a mis en nous la douleur, pour que nous puissions par réflexe ôter notre main du feu immédiatement, et c’est ainsi que l’âme est unie au corps.
Je comprends donc qu’il m’est possible de connaitre, en prenant garde à bien extraire de l’image sensible que je reçois les évidences mathématiques qui sont, elles, claires et distinctes. Et je réfute par là- même le dernier argument du doute méthodique car, dans un rêve, il est impossible de construire les relations mathématiques qui unissent ce monde onirique. Je suis donc sûr qu’il y a bien de l’être dans ce monde, et que je ne suis pas dans un songe trompeur.
Textes des Méditations de Descartes en cours de philosophie Terminale
DESCARTES René, Méditations Métaphysiques, Flammarion, 1641 N.B : la pagination correspond à l’édition Adam et Tannery, vérifiée sur les éditions originales latines (1641 et 1642) et française (1647)
Extrait 1
« Mais moi, qui suis-je, maintenant que je suppose qu’il y a quelqu’un qui est extrêmement puissant et, si je l’ose dire, malicieux et rusé, qui emploie toutes ses forces et toute son industrie à me tromper ? Puis- je m’assurer d’avoir la moindre de toutes les choses que j’ai attribuées ci-dessus à la nature corporelle ? Je m’arrête à y penser avec attention, je passe et repasse toutes ces choses en mon esprit, et je n’en rencontre aucune que je puisse dire être en moi. Il n’est pas besoin que je m’arrête à les dénombrer. Passons donc aux attributs de l’âme, et voyons s’il y en a quelques-uns qui soient en moi. Les premiers sont de me nourrir et de marcher ; mais s’il est vrai que je n’aie point de corps, il est vrai aussi que je ne puis marcher ni me nourrir. Un autre est de sentir ; mais on ne peut aussi sentir sans le corps : outre que j’ai pensé sentir autrefois plusieurs choses pendant le sommeil, que j’ai reconnu à mon réveil n’avoir point en effet senties. Un autre est de penser ; et je trouve ici que la pensée est un attribut qui m’appartient : elle seule ne peut être détachée de moi. Je suis, j’existe : cela est certain ; mais combien de temps ? A savoir, autant de temps que je pense ; car peut-être se pourrait-il faire, si je cessais de penser, que le cesserais en même temps d’être ou d’exister. Je n’admets maintenant rien qui ne soit nécessairement vrai : je ne suis donc, précisément parlant, qu’une chose qui pense, c’est-à-dire un esprit, un entendement ou une raison, qui sont des termes dont la signification m’était auparavant inconnue. »
Méditation seconde (§21)
Extrait 2
« Considérant [les idées] comme des images, dont les unes représentent une chose et les autres une autre, il est évident qu’elles sont fort différentes les unes des autres. Car, en effet celles qui me représentent des substances, sont sans doute quelque chose de plus, et contiennent en soi (pour ainsi parler) plus de réalité objective, c’est-à-dire participent par représentation à plus de degrés d’être ou de perfection, que celles qui me représentent seulement des modes ou accidents. De plus, celle par laquelle je conçois un Dieu souverain, éternel, infini, immuable, tout connaissant, tout-puissant, et Créateur universel de toutes les choses qui sont hors de lui ; celle-là, dis-je, a certainement en soi plus de réalité objective, que celles par qui les substances finies me sont représentées.
Maintenant, c’est une chose manifeste par la lumière naturelle, qu’il doit y avoir pour le moins autant de réalité dans la cause efficiente et totale que dans son effet : car d’où est- ce que l’effet peut tirer sa réalité sinon de sa cause ? et comment cette cause la lui pourrait- elle communiquer, si elle ne l’avait en elle- même. Et de là il suit, non seulement que le néant ne saurait produire aucune chose, mais aussi que ce qui est plus parfait, c’est-à-dire qui contient en soi plus de réalité, ne peut être une suite et une dépendance du moins parfait. […] Mais enfin que conclurai-je de tout cela ? C’est à savoir que, si la réalité objective de quelqu’une de mes idées est telle, que je connaisse clairement qu’elle n’est point en moi, ni formellement, ni éminemment, et que par conséquent je ne puis pas moi-même en être la cause, il suit de la nécessairement que je ne suis pas seul dans le monde, mais qu’il y a encore quelque autre chose qui existe, et qui est la cause de cette idée ; au lieu que, s’il ne se rencontre point en moi de telle idée, je n’aurai aucun argument qui me puisse convaincre et rendre certain de l’existence d’aucune autre chose que de moi-même ; car je les ai tous soigneusement recherchés, et je n’en ai pu trouver aucun autre jusqu’à présent.
Or entre ces idées, outre celle qui me représente à moi-même, de laquelle il ne peut y avoir ici aucune difficulté, il y en a une autre qui me représente un Dieu, d’autres des choses corporelles et inanimées, d’autres des anges, d’autres des animaux, et d’autres enfin qui me représentent des hommes semblables à moi. […] Partant il ne reste que la seule idée de Dieu, dans laquelle il faut considérer s’il y a quelque chose qui n’ait pu venir de moi-même. Par le nom de Dieu j’entends une substance infinie, éternelle, immuable, indépendante, toute connaissante, toute-puissante, et par laquelle moi-même, et toutes les autres choses qui sont (s’il est vrai qu’il y en ait qui existent) ont été créées et produites. Or ces avantages sont si grands et si éminents, que plus attentivement je les considère, et moins je me persuade que l’idée que j’en ai puisse tirer son origine de moi seul. Et par conséquent il faut nécessairement conclure de tout ce que j’ai dit auparavant, que Dieu existe. »
Méditation troisième (§ 31-34)
Extrait 3
« Car sachant que tous mes sens me signifient plus ordinairement le vrai que le faux, touchant les choses qui regardent les commodités ou incommodités du corps, et pouvant presque toujours me servir de plusieurs d’entre eux pour examiner une même chose, et outre cela, pouvant user de ma mémoire pour lier et joindre les connaissances présentes aux passées, et de mon entendement qui a déjà découvert toutes les causes de mes erreurs, je ne dois plus craindre désormais qu’il se rencontre de la fausseté dans les choses qui me sont le plus ordinairement représentées par mes sens. Et je dois rejeter tous les doutes de ces jours passés, comme hyperboliques et ridicules, particulièrement cette incertitude si générale touchant le sommeil, que je ne pouvais distinguer de la veille : car à présent j’y rencontre une très notable différence, en ce que notre mémoire ne peut jamais lier et joindre nos songes les uns aux autres et avec toute la suite de notre vie, ainsi qu’elle a de coutume de joindre les choses qui nous arrivent étant éveillés. Et, en effet, si quelqu’un, lorsque je veille, m’apparaissait tout soudain et disparaissait de même, comme font les images que je vois en dormant, en sorte que je ne pusse remarquer ni d’où il viendrait, ni où il irait, ce ne serait pas sans raison que je l’estimerais un spectre ou un fantôme formé dans mon cerveau, et semblable à ceux qui s’y forment quand je dors, plutôt qu’un vrai homme. Mais lorsque j’aperçois des choses dont je connais distinctement et le lieu d’où elles viennent, et celui où elles sont, et le temps auquel elles m’apparaissent et que, sans aucune interruption, je puis lier le sentiment que j’en ai, avec la suite du reste de ma vie, je suis entièrement assuré que je les aperçois en veillant, et non point dans le sommeil. Et je ne dois en aucune façon douter de la vérité de ces choses-là, si après avoir appelé tous mes sens, ma mémoire et mon entendement pour les examiner, il ne m’est rien rapporté par aucun d’eux, qui ait de la répugnance avec ce qui m’est rapporté par les autres. Car de ce que Dieu n’est point trompeur, il suit nécessairement que je ne suis point en cela trompé. Mais parce que la nécessité des affaires nous oblige souvent à nous déterminer, avant que nous ayons eu le loisir de les examiner si soigneusement, il faut avouer que la vie de l’homme est sujette à faillir fort souvent dans les choses particulières, et enfin il faut reconnaître l’infirmité et la faiblesse de notre nature. »
Méditation sixième (§72)
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