L’exercice de la dissertation, dans le cadre de l’épreuve de français pour les concours des prépa scientifiques, exige de connaître et de savoir utiliser les 3 œuvres mises au programme pour l’étude du thème « servitude et soumission » : Le discours de la servitude volontaire de la Boétie, les Lettres Persanes de Montesquieu, et Une Maison de poupée d’Henrik Ibsen. Un essai, un roman épistolaire, et une pièce de théâtre, qu’il faut avoir lus et relus pour se les être véritablement appropriés. L’exercice demandé aux étudiants de maths sup et maths spé exige en effet de pouvoir mobiliser ces œuvres dans le cadre d’une réflexion organisée qui réponde à un sujet bien précis (sujet question ou citation). En plus de la méthode de dissertation en français en prépa, il est donc important de bien connaître certains passages et même d’apprendre quelques citations qui pourront apparaître dans le cours du développement. En revanche, il est nécessaire d’exploiter ces citations de manière appropriée, c’est-à-dire qu’une citation ne doit pas apparaître gratuitement, mais bien servir l’argumentation et la faire progresser. Cela exige en fait d’exploiter les passages retenus, c’est-à-dire de les commenter, de leur donner du relief, du sens, dans le corps de l’argumentation même. Il ne faut donc pas hésiter à repérer des citations variées qui s’inscrivent dans la thématique « servitude et soumission », à les retravailler, les commenter soi-même, pour pouvoir ensuite les utiliser de manière adéquate et efficace le jour de l’épreuve.
Professeure de français-philosophie pour les stages intensifs de Groupe Réussite, j’ai sélectionné pour les élèves de maths spé quatre passages dans chaque œuvre pour les aider dans la rédaction des dissertations de concours en cpge d’entrée aux grandes écoles d’ingénieur. Ces passages, chacun agrémenté de son commentaire, illustrent de manière particulièrement forte et variée la richesse du thème de cette année.
Citations dans Le Discours de la servitude volontaire – La Boétie
1) « C’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix d’être serf ou d’être libre, abandonne sa liberté et prend le joug, et, pouvant vivre sous les bonnes lois et sous la protection des États, veut vivre sous l’iniquité, sous l’oppression et l’injustice, au seul plaisir [du] tyran. C’est le peuple qui consent à son mal ou plutôt le recherche. » (p:114-115)
Problématique soulevée : le phénomène de la servitude volontaire et la responsabilité qu’elle engage.
Ce passage vient illustrer, au début du discours, le phénomène de la servitude volontaire qui préoccupe La Boétie. Selon l’auteur, la servitude est un processus qui engage à la fois la volonté et la responsabilité du peuple : la contrainte extérieure, imposée par le tyran, ne suffit pas à expliquer la perte de liberté des membres de la société. Ce qui explique cet état d’esclavage généralisé, c’est la reconnaissance intime, de leur part, d’une autorité illégitime, qu’ils finissent par légitimer du fait de leur passivité et de leur oubli de la liberté. Dans ce passage, La Boétie va même jusqu’à parler d’une volonté profonde de la servitude (comme l’indiquent la forme pronominale, ainsi que les termes relatifs au « choix », au consentement, au vouloir). Si le peuple se trompe, il semble cependant totalement aveugle à son erreur, par ce choix même de l’injustice et de la servitude : c’est ce qui vient justifier le ton de reproche qu’adopte ici La Boétie, qui déplore cet état de fait tragique et absurde.
2) « Encore ce seul tyran, il n’est pas besoin de le combattre, il n’est pas besoin de le défaire, il est de soi-même défait, mais que le pays ne consente à sa servitude ; il ne faut pas lui ôter rien, mais ne lui donner rien » (p:113)
Problématique soulevée : le renversement possible de la servitude à travers le refus du consentement.
Pourquoi La Boétie reproche t-il ainsi au peuple lui-même sa propre servitude ? Justement parce que, selon l’auteur, il dispose des moyens d’en sortir. Ce passage est important car c’est ici que La Boétie délivre un propos prescriptif (ce que le peuple devrait faire) après avoir développé un propos descriptif (ce que le peuple fait, de fait). Et il faut être attentif à la finesse du message délivré : l’auteur n’appelle pas ici à la révolte, qui pourrait prendre la forme de la désobéissance civile (telle qu’elle sera théorisée par exemple par Locke, au XVIIème siècle). Il en appelle à la lucidité, à la prise de conscience du peuple de l’état anormal de sa situation et de l’illégitimité du pouvoir exercé par le tyran. Il ne s’agit pas de « défaire » le tyran, mais simplement de refuser de reconnaître son autorité : car selon l’auteur, la servitude volontaire repose justement sur cette reconnaissance de la part du peuple du pouvoir tyrannique (d’où l’idée de servitude volontaire). La servitude volontaire n’aurait dès lors plus lieu d’être à partir du moment où les membres de la société cessent de consentir à leur esclavage : cette lucidité est la clé de la libération.
3) « Si elle [la nature] a montré, en toutes choses, qu’elle ne voulait pas tant nous faire tous unis que tous uns, il ne faut pas faire de doute que nous ne soyons naturellement libres, puisque nous sommes tous compagnons, et ne peut tomber en l’entendement de personne que nature ait mit aucun en servitude, nous ayant tous mis en compagnie. » (p:119)
Problématique soulevée : l’universalité de la liberté et de l’égalité parmi les hommes : le caractère intolérable de la servitude.
Il s’agit ici d’un très beau passage où La Boétie rappelle les valeurs fondamentales qui devraient guider toute action humaine et toute organisation sociétale. Son but est bien de prouver que l’homme est naturellement libre et qu’il est fait pour le rester (tout état de servitude conduisant dès lors nécessairement à une déshumanisation). Il rappelle pour cela le principe d’universalité qui fait que tous les hommes sont nécessairement égaux entre eux, du fait du partage commun d’une humanité caractérisée par sa rationalité et son destin pour la liberté. Il vient donc justifier le principe de la liberté par le principe de l’égalité, s’expliquant lui-même par la fraternité universelle qui rapproche tous les individus. Si chacun reconnaît cette intersubjectivité fraternelle, alors il ne devrait jamais tolérer aucune forme d’inégalité, c’est-à-dire a posteriori refuser tout phénomène de servitude parmi ses semblables.
4) « On ne plaint jamais ce que l’on a jamais eu, et le regret ne vient point sinon qu’après le plaisir, et toujours est, avec la connaissance du mal, la souvenance de la joie passée. La nature de l’homme est bien d’être franc et de le vouloir être, mais aussi sa nature est telle que naturellement il tient le pli que la nourriture lui donne. » (p:130)
Problématiques soulevées : le lien entre habitude et servitude volontaire / le rapport entre l’inné et l’acquis.
Il est vrai que dans le discours, La Boétie semble à plusieurs reprises condamner le peuple qui serait selon lui responsable de sa propre servitude, et c’est pourquoi il parle de servitude volontaire. Mais si l’auteur déplore cet état de fait, il cherche pourtant à l’analyser et à fournir des explications qui permettraient de comprendre cette situation anormale. Ainsi développe t-il un propos très important sur les effets considérables de l’habitude : ce passage vient confirmer l’analyse que La Boétie a donnée de la coutume. Et cette citation permet, en quelque sorte, d’expliquer le phénomène de la servitude volontaire. Ce qui est dit ici, c’est que la conscience de la nature libre de l’homme n’est possible que si l’homme a connu la liberté. Vivre en servitude ne permet pas de regretter la liberté, quand l’homme n’en a eu aucun vécu. C’est pourquoi les peuples ne se plaignent pas de leur état de servitude, ils ne disposent pas de l’élément de comparaison nécessaire pour le juger et le remettre en cause. De plus, La Boétie développe un propos sur la nature ambiguë, presque contradictoire de l’homme : celui-ci naît libre et est un être pour la liberté, mais il est aussi un être qui se détermine en fonction de l’acquis (et donc pas seulement de l’inné). Le cadre dans lequel il vit (société, culture,…) l’influence de manière déterminante : et c’est pourquoi cela peut venir menacer ce qu’il y avait d’inné en l’homme (notamment sa liberté). L’homme est donc naturellement libre, mais il est aussi naturellement porté à s’adapter et à prendre des habitudes qui peuvent venir le modifier profondément.
Citations intéressantes dans Les Lettres Persanes, Montesquieu
5) « Chez nous, les caractères sont tous uniformes, parce qu’ils sont forcés : on ne voit point les gens tels qu’ils sont, mais tels qu’on les oblige d’être. Dans cette servitude du cœur et de l’esprit, on n’entend parler que de la crainte, qui n’a qu’un langage, et non pas la nature, qui s’exprime si différemment, et qui paraît sous tant de formes. » Lettre LXIII (Rica à Usbek) (p:160)
Problématique soulevée : servitude en société et restriction des libertés individuelles : l’uniformisation des comportements.
Cette citation est intéressante car elle développe un propos original sur le lien entre servitude et mœurs d’un peuple, d’une nation : Rica constate en effet qu’en Perse, les individus ont tellement intériorisé les contraintes extérieures (politiques et religieuses, notamment), que cela a des conséquences directes sur leurs comportements et caractères, dans le sens d’une dégradation et d’un appauvrissement : Rica parle ainsi d’uniformisation des individualités, qui ne laissent plus libre cours à l’expression de leurs particularités personnelles. Le poids de la contrainte, la peur qu’elle inspire, font que les individus finissent par s’auto-restreindre eux-mêmes, à la fois intellectuellement et personnellement (« cette servitude du cœur et de l’esprit »). L’impératif du respect d’une norme imposée sur les caractères aboutit à une société neutre, servile, où règnent les lois du conformisme et de l’uniformisation : ce sont les signes d’une servitude généralisée, où les libertés individuelles et la richesse multiforme qu’elles impliquent n’ont plus de place.
6) « Mais les rois sont comme les dieux, et, pendant qu’ils vivent, on doit les croire immortels. » Lettre CVII (Rica à Ibben) (p:249)
Problématique soulevée : le rapport entre asservissement, politique et religion : la divinisation du tyran.
Cette citation s’inscrit dans la thématique de la divinisation du tyran qui constitue l’un des ressorts de la servitude des membres d’une société. Elle fait d’ailleurs écho aux propos que La Boétie développe dans le Discours de la servitude volontaire : ce dernier explique ainsi que le tyran cherche à se diviniser aux yeux du peuple afin de faire reconnaître et accepter son pouvoir, quoique non légitime. Dans ce processus, c’est bien l’esprit du peuple qui est asservi : c’est sa crédulité même quant à la nature divine du souverain qui prouve qu’il est dans un rapport servile et aveugle au pouvoir (il n’est plus suffisamment maître de son entendement et plus suffisamment lucide pour remettre en question un tel état de fait). Mais ici, on sent bien la distanciation qu’instaure Rica dans le rapport à cette croyance (et donc l’ironie de Montesquieu) : c’est ce qu’indiquent les modalisations du propos (« sont comme les dieux », et une modalisation temporelle « pendant qu’ils vivent »), ainsi que le rappel ironique de la nature prescriptive de cette croyance (« on doit les croire immortels ») : c’est donc que cette croyance n’a rien de naturel, du moins rien de raisonnable, et qu’elle s’inscrit dans un processus d’asservissement bien pensé de l’esprit des individus.
7) « On ôta non seulement toute la douceur du mariage, mais aussi l’on donna atteinte à sa fin : en voulant resserrer ses nœuds, on les relâcha ; et, au lieu d’unir les cœurs, comme on le prétendait, on les sépara pour jamais. Dans une action si libre, et où le cœur doit avoir tant de part, on mit la gêne, la nécessité et la fatalité du destin même. » Lettre CXVII (Usbek à Rhédi) (p:267)
Problématique soulevée : Amour et contraintes sociales : l’asservissement dans les rapports amoureux.
Il est question ici de la contrainte dans les rapports amoureux, et dans la forme institutionnalisée qu’est le mariage : l’auteur explique qu’à force de vouloir rapprocher deux individus par la contrainte (la contrainte sociale de l’union dans le mariage), on finit en fait par les éloigner l’un de l’autre : car c’est leur liberté respective que l’on vient bafouer. En effet, rien ne réclame plus de liberté que les rapports amoureux : car si l’on peut réduire un homme en esclavage, on ne peut jamais contraindre ses sentiments, et notamment ses sentiments amoureux. Car ces derniers ne sont pas sujets à une quelconque rationalisation : le choix de l’être aimé ne se justifie pas, et ne peut pas être contredit. Or le mariage unit des individus qui n’ont pas forcément de penchant l’un pour l’autre, ce qui aboutit à long terme à un phénomène d’auto-destruction du couple. Le mariage tel qu’il se pratique vient en fait annuler la finalité qu’il s’était fixé : l’union des individus. Si dans ce passage Usbek parle de l’interdit du divorce dans les pays chrétiens, le propos peut tout autant s’appliquer au cas du mariage forcé ou de l’union contrainte en Perse : l’ironie du passage, c’est qu’Usbek ne remet nullement en cause le rapport contraint qu’il entretient avec ses propres épouses…
8) « Ces peuples n’étaient point proprement barbares, puisqu’ils étaient libres ; mais ils le sont devenus depuis que, soumis pour la plupart à une puissance absolue, ils ont perdu cette douce liberté si conforme à la raison, à l’humanité et à la nature. » Lettre CXXXVI (Rica à ***) (p:311)
Problématique soulevée : servitude et déshumanisation.
Selon cette citation, il y aurait un lien de causalité entre état de servitude et dégradation morale, et état de liberté et maintien de la rationalité. La liberté répandue au sein d’un peuple semble en effet être ici en quelque sorte exclusive d’un état généralisé de « barbarie » (c’est-à-dire, d’écart par rapport à l’humanité, et donc de dégradation) : en revanche, les contraintes constantes imposées par l’état de servitude font que les hommes, en perdant leur liberté, perdent finalement tout ce qui a de la valeur et qui vient les caractériser en propre : sans liberté, l’homme est naturellement porté à l’appauvrissement intellectuel, moral, bref, à une forme de déshumanisation. Dès lors, la liberté est présentée ici à la fois comme une condition nécessaire et suffisante du maintien d’une humanité saine, stable, qui ne tombe pas dans l’oubli d’elle-même.
Citations intéressantes dans Une maison de Poupée, Ibsen
9) « Nora. Non, pour l’amour du ciel, comment peux-tu l’imaginer ? Lui qui est si strict sur ce point ! Et d’ailleurs- Torvald avec son amour-propre masculin-, ce serait pénible et humiliant pour lui de savoir qu’il me doit quelque chose. Cela aurait bouleversé tous nos rapports ; notre foyer chaleureux ne serait plus ce qu’il est. » (p:30)
Problématique soulevée : servitude et rapport homme/femme : l’idéologie et la domination masculines.
Cette citation montre que le couple Nora / Torvald vit sur des fondements extrêmement fragiles : les apparences sont bien plus importantes que le reste. En fait, cette réplique est pleine d’ironie (tragique) ; ce que Nora dit révèle en fait parfaitement que son foyer actuel est tout sauf chaleureux : il est basé sur l’artifice et le mensonge. Nora, par soumission à son mari et aux principes de sa virilité et de son honneur, ne peut même pas se permettre de montrer ce qu’elle est, de dire ce qu’elle a fait, bref d’être elle-même. L’amour-propre masculin de Torvald est donc le principe régulateur du foyer : et c’est pour le conserver intact que Torvald a fait de Nora un être inauthentique, celle-ci ayant intériorisée profondément la règle selon laquelle rien ne doit être « pénible » ou « humiliant » pour Torvald. Ces termes sont révélateurs : savoir que Nora a tout fait pour sauver son mari devrait au contraire être réconfortant et agréable pour Torvald. Mais son ego est tellement fort et ses visions tellement arbitraires (sur le rôle respectif de l’homme et de la femme), que Torvald ne doit jamais sentir qu’il s’est « abaissé » à devoir quelque chose à son épouse.
10) « Helmer. Tu as bien dit que personne n’était venu ? (La menaçant du doigt). Plus jamais ça, mon petit merle siffleur. Un merle siffleur doit avoir le bec impeccable s’il veut chanter ; jamais de fausses notes. (Il la prend par la taille.) N’est-ce pas que j’ai raison ? Évidemment. (Il la lâche.) Et puis n’en parlons plus. (Il s’assied devant le poêle.) Ah, comme il fait bon et chaud ici. » (Acte I, p:54)
Problématique soulevée : servitude et rapport homme/femme : infantilisation et réification de la figure féminine.
Cette réplique d’Helmer est très riche de signes qui indiquent le rapport fondamentalement servile qui existe entre lui et son épouse Nora : il peut s’agir d’un bon exemple pour illustrer le déséquilibre de cette relation, en relevant à la fois la portée du contenu des propos d’Helmer ainsi que le contenu symbolique des didascalies. Helmer adopte la posture paternelle de la menace (« la menaçant du doigt »), et les indications portant sur ses gestes révèlent la manière dont il dispose du corps de Nora comme bon lui semble (il l’attire vers lui, puis la repousse au même moment : le corps de Nora est donc fondamentalement un jouet). Cette réplique témoigne également du rapport d’infantilisation qu’entretient Helmer vis-à-vis de Nora, comme l’indique le surnom de « merle siffleur », faisant écho à tous les surnoms animaliers qu’il lui donne tout au long de la pièce. De plus, on voit ici toutes les règles qu’Helmer cherche à inculquer à Nora : il insiste sur l’importance de l’apparence de l’épouse, qui doit être infaillible, et qui n’a pas le droit à l’erreur (« jamais de fausses notes »). Helmer affirme lui-même la légitimité de sa conduite (« N’est-ce pas que j’ai raison? ») et répond lui-même à sa question : il ne laisse pas le temps à Nora de s’exprimer, de dire ce qu’elle pense (justement, il lui cloue le bec!). Il est le maître de la parole ici (il décide même de la fin de la conversation) : maîtriser la parole de l’autre, c’est une manière de le réduire au silence, et donc de le dominer. Il conclue enfin sur une petite note de confort (« Ah, comme il fait bon et chaud ici »), retombant ainsi dans ses préoccupations bourgeoises et se délectant de son confort personnel.
11) « Nora. Torvald tient à moi d’une manière inexprimable ; et il me veut pour lui tout seul, comme il dit. Les premiers temps, il en était presque jaloux de m’entendre nommer une personne chère de mon entourage. Alors, naturellement, j’ai cessé. » (Acte II, p:66)
Problématique soulevée : la soumission par l’intériorisation des règles imposées par une autorité.
Cette réplique de Nora vient illustrer le phénomène de soumission qui semble caractériser, au moins une partie de la pièce, l’attitude de la jeune femme. En effet, non seulement Nora reconnaît-elle l’autorité de son mari, mais elle semble se prêter aux règles du jeu instaurées dans son foyer telles qu’elles sont voulues et choisies par Helmer. Il y a donc un véritable processus d’intériorisation de ces règles par Nora : ici, elle reconnaît l’affection possessive de son mari, et explique qu’elle a adapté son comportement, dans le sens d’une restriction d’elle-même (par le fait de ne plus s’autoriser à évoquer d’autres personnes aimées), afin de ne pas froisser la sensibilité excessive d’Helmer. Ce sont les derniers propos (« Alors, naturellement, j’ai cessé ») qui témoignent de la véritable soumission de Nora : celle-ci présente cet état de fait comme quelque chose de naturel, de normal, d’évident, qui relèverait d’une causalité logique qu’il ne s’agit absolument pas de remettre en question. Pourtant, la jalousie de son mari se rapporte plus à un simple rapport de possessivité qu’à du véritable amour…
12) « Nora. Ça, je n’y crois plus. Je crois que je suis d’abord et avant tout un être humain, au même titre que toi – ou en tous cas que je dois m’efforcer de le devenir. Je sais bien que la plupart des gens te donneront raison, Torvald, qu’on trouve ce genre de choses dans les livres. Mais je ne peux plus me contenter de ce que les gens disent ni de ce qu’il y a dans les livres. Je dois penser par moi-même et tâcher d’y voir clair. » (Acte III, p:132-133)
Problématique soulevée : la libération possible de l’individu à travers le recouvrement de l’indépendance : l’autonomie dans la remise en question et dans l’éducation.
Cette réplique de Nora est particulièrement importante, car elle illustre le changement du personnage principal et son choix quant à la nouvelle vie qu’elle décide de mener en cette fin de pièce. Nora est enfin dans le refus et dans la révision de ses propres jugements (« Ça, je n’y crois plus ») : elle ose enfin dévoiler et affirmer sa pensée, en contredisant directement les propos de son époux. Elle lui rappelle ainsi sa nature fondamentale d’être humain avant son rôle social « d’épouse et de mère » : c’est donc qu’elle prend de la distance avec l’imaginaire moral, social, qui lui a été imposé jusqu’alors, et qu’elle est dans un mouvement réflexif sur elle-même lui permettant de reconquérir sa propre lucidité. Elle assume un nouveau projet de vie, qui est celui de se construire en tant qu’individu propre, indépendant d’autrui et pouvant compter avant tout sur sa propre personne : cela passant, comme elle l’explique, par le travail, par l’éducation propre, et surtout par l’expérience personnelle de vie. C’est pourquoi elle refuse désormais de se contenter de « ce qu’il y a dans les livres » : ce qui est indiqué ici, c’est que la liberté réside dans la remise en question. Remettre en question les principes reçus, présentés comme vrais et absolus, permet à l’individu de se ressaisir et d’exercer de manière autonome et authentique sa propre rationalité. Nora est pour que l’individu bâtisse son propre système de valeurs, en se confrontant lui-même à la réalité, à l’expérience, pour ensuite en tirer ses propres enseignements et donc ses principes de vie.
Rime Salmon
À propos de Rime
Élève de l’ENS Ulm en Lettres Modernes, j’enseigne le français aux élèves de prépas scientifiques avec Groupe Réussite en cours à domicile en français et stages intensifs.
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