Culture Générale : le corps – l’éclairage d’Aristote (épisode 1/5)
Nous commençons ici une série d’articles destinés à penser la notion de corps pour améliorer votre culture générale en prépa HEC sur le corps dans l’optique de la dissertation de culture générale en classe préparatoire économique et commerciale. Après l’annonce du thème de culture générale sur le corps, il s’agit à présent de vous familiariser avec cette notion pour être prêt le jour des écrits de concours. N’oubliez pas que cette matière a d’importants coefficients en ECG.
A travers les cinq opus de cette série, nous présenterons une manière de comprendre la notion de corps ; mais rappelons bien que ce n’est qu’une manière. Notre travail ne prétend à aucune exhaustivité. Nous ne cheminerons cependant pas seul et nous penserons le corps grâce, ou plutôt avec, Aristote, Descartes, Leibniz, Merleau-Ponty et le champ de la sociologie du corps. Pour autant, la durée de notre voyage est fixée et nous devrons être avares en détours. Nous prions au lecteur de nous excuser pour notre brièveté.
Notre point de départ sera de remarquer que le corps est avant tout matériel, c’est-à-dire qu’il peut toujours être l’objet d’une sensation empirique. Que cela soit la chaise qui se trouve devant moi, le sol sur lequel repose mes pieds ou ma main qui écrit, je peux, à tout instant, m’assurer de leur présence empirique. On pourrait pourtant objecter que cette première remarque exclut certains usages du corps dans le langage courant.
Cette objection ne nous paraît pas susceptible de mettre en danger notre démarche. Parler par exemple du « corps de l’État », c’est renvoyer à l’ensemble des individus – les fonctionnaires – qui travaillent dans les administrations publiques et qui fondent la matérialité de la puissance publique. Ils sont ceux par qui l’idée abstraite de l’État prend sa matérialité. Ils le représentent physiquement et peuvent donc être l’objet, eux aussi, d’une sensation empirique.
Ainsi le corps porte en lui la marque d’une matérialité. Le corps est ce qui peut se toucher, ce dont on peut avoir une sensation empirique. Néanmoins, l’identification de la matière et du corps pose problème : toute matière ne peut pas être un corps. C’est ce que fait remarquer Aristote dans son exemple de la maison devenu célèbre [Métaphysique, H, Vrin, P.455]. Un tas de pierres ne peut être suffisant pour définir la maison. Il y a, en construisant la maison à partir d’un tas de pierres, quelque chose en plus qui permet de distinguer ces matériaux de l’édifice fini.
Ce tas de pierres n’est pas la maison, du moins il ne l’est qu’en puissance, c’est-à-dire en virtualité, en potentialité non réalisée. Il faut donc, pour faire des matériaux un corps, des pierres une maison, un principe d’organisation, une délimitation. Cette capacité à délimiter un contour matériel particulier, faisant que l’on puisse distinguer la maison de l’herbe qui l’entoure, nous l’appellerons forme si bien que le corps peut être compris comme une façon d’unifier la matière : « Le nom de corps revêt un sens assez général : il convient à toute substance cohérente qui fédère des éléments et les absorbe. » [F. Dagognet, p. 281].
La forme n’a rien à voir ici avec la forme géométrique. Elle est ce qui dans un corps fédère la matière, faisant dire à Dagognet que le corps est substance. Chez Aristote, cette capacité se fera autour d’une fonction à remplir mais n’avançons pas trop vite. Avant de comprendre ce qu’il y a de substantiel dans un corps, commençons par faire un premier détour nécessaire pour comprendre ce qu’est une substance.
Qu’est-ce qu’une substance ? Le corps en philosophie
La substance (ousia, οὐσία) pour Aristote, est avant tout une manière de répondre à la question « qu’est-ce que c’est ? ». Or cette même formule possède déjà une certaine ambiguïté. On peut d’abord y répondre en disant « C’est Socrate », le « qu’est-ce que c’est ? » renvoyant ici à l’objet de la pensée ou l’objet de la perception. Dans ce cas, la substance doit posséder deux propriétés : ne pas être dans un sujet, soit exister de façon indépendante sans avoir besoin d’« être autre chose » et ne pas être « dit d’un sujet », c’est-à-dire être le référent ultime du discours.
Par exemple, « blanc » sous ces critères n’est pas une substance : il n’est pas le référent ultime d’un discours car il suppose déjà une surface. A la question « qu’est-ce que c’est ? », nous ne répondons jamais « blanche » mais « cette maison blanche ». On voit que les termes qui satisfont le plus complètement ces conditions correspondent aux noms propres ou aux expressions apparentées comme « Socrate » ou « cette maison que voici ». On appellera ces substances les « substances premières ».
Mais notons par ailleurs qu’il existe des termes qui remplissent la première condition mais pas la deuxième ; c’est à dire qui ne désignent pas directement des individus mais qui tirent leur signification du fait qu’ils s’appliquent à ces derniers. « Être un animal » pour Socrate est une manière d’être ce qu’il est. Ce sont les espèces et les genres, qui seront alors nommés « substances secondes ». Pourquoi peuvent-ils être appelés substances si ces termes ne remplissent pas les deux conditions précédentes ?
On arrive alors au deuxième sens du « qu’est-ce que c’est ? » : il renvoie également à ce que l’on dit que c’est, soit le support (hypokeimenon, ὑποκείμενον), le signifié universel grâce auquel on reconnaît un individu. En effet, on peut très bien répondre à la question « qu’est-ce que c’est ? » par « un animal » pour désigner Socrate. Ainsi, à l’aune de cette deuxième définition, on pourra parler non plus d’ « une ousia » mais de l’ousia de quelque chose, chose qu’on pourrait traduire par le mot essence, soit ce par quoi une chose est bien ce qu’elle est.
Ainsi, on peut distinguer trois sortes de substances : celles qui désignent des réalités indépendantes, pouvant s’appliquer directement à des individus (substance première) ou indirectement à la façon des espèces et des genres (substance seconde), et celle qui désignent des essences.
Avant de poursuivre notre réflexion sur le corps, notons simplement que les substances les plus évidentes sont des individus. Aristote semble penser les individus au fondement de toute réalité. Or ils sont des objets singuliers dont la connaissance ne peut être universelle. Dès lors, certains ont cru voir une tension au sein de l’ontologie aristotélicienne : car ce qui il y a de plus réel ne serait pas connaissable, quand ce qui est le plus connaissable – les formes universelles – n’est pas entièrement réel.
Mais laissons de côté cette tension apparente pour l’instant. Si nous savons qu’il existe plusieurs formes de substances, en quoi le corps peut-il être substantiel ? Qu’est-ce qui dans le corps peut être dit comme substantiel ?
Avant tout, notons bien que si le corps est substantiel, la substance n’est pas nécessairement corporelle. Puisque nous avons défini le corps comme étant d’abord l’objet d’une sensation empirique – c’est là notre première remarque décisive –, il existe dans le monde d’Aristote des objets non-sensibles substantiels. Pour rappel, Aristote pense l’univers divisé entre un monde sublunaire – pour le dire vite notre monde terrestre – où règne le contingent et un monde supra-lunaire où l’ensemble des éléments obéissent à des lois nécessaires. Il existe ainsi des substances, immortelles, qui ne sont pas sensibles [Bodéüs, 1992]. Mais une question demeure : qu’est-ce qui dans le corps peut être dit comme substantiel ? Qu’est-ce qui dans cette chose qui est corps fait substance ?
Qu’est-ce qui dans un corps fait substance ?
Une première réponse serait de voir la matière du corps comme substance, en appelant « matière ce qui n’est par soi ni existence déterminée, ni d’une certaine quantité, ni d’aucune autre des catégories par lesquelles l’Être est déterminé. » [Aristote, Métaphysique, Z3]. Aristote discutera cette option (Métaphysique Z3 1028B 34), mais la substance doit être « un certain ceci » (tode ti, τόδε τι ), c’est-à-dire une réalité unifiée, une et identifiable. Comme nous l’avons déjà remarqué, ce qui fait que cette maison est cette maison n’est pas seulement le tas de pierres si bien que la matière du corps ne peut être suffisante pour fonder la substantialité du corps.
Il faut une forme, un principe d’organisation pour penser le corps. Prenez un tas de pierres brut, sans aucune construction : en aucun cas il ne pourrait former à lui tout seul une maison. Dès lors, les éléments naturels comme la Terre ou le Feu ne sont pas des corps, puisqu’ils ne constituent pas réellement des unités. Ce sont des « puissances », qui sont du côté de la matière (Métaphysique, Z 16, 1040b 5) mais qui doivent, pour être corps, posséder une forme. Par exemple, le feu devient corps lorsqu’il possède une forme en tant que cheminée, celle de réchauffer les habitants d’une maison.
Mais la forme à elle seule n’est pas suffisante pour penser ce qui fait qu’un corps est un corps. La maison, sans aucune pierre, ne pourrait être décrite comme maison. « La matière prochaine et la forme sont une seule et même chose, mais en puissance d’un côté, et en acte de l’autre. Demander, par conséquent, comment elles s’unifient, revient à rechercher quelle est la cause de l’unité, et pourquoi ce qui est un est un. Chaque chose, en effet, est une, et ce qui est en puissance et ce qui est en acte ne sont en quelque sorte qu’une seule chose.» (Métaphysique, H, 6, 1045 b 18- 22), écrit Aristote.
Il est donc absurde d’exclure la matière pour penser la substance corporelle, car une chose est à la fois – et aussi bien – matière et forme. Si on ne peut distinguer pour penser la substance d’un corps la matière et la forme, c’est qu’au fond, pour Aristote, la matière et la forme sont la même et unique chose, comprise dans une modalité différente. Ce point est tout à fait crucial. G. Rodier [1900] écrit : “ La forme d’une chose et sa matière ne sont pas deux éléments qui subsistent en elle simplement juxtaposés ; la forme n’est pas autre chose que la matière en acte. Une fois réalisée, la forme ne se distingue plus de la matière ”.
Si le tas de pierres est la matière de la maison en puissance, avant que l’architecte n’ait conçu les plans du bâtiment qui servira à abriter des individus ; la forme de notre édifice, en tant que principe d’organisation, est de la matière actualisée, réalisée. Ce n’est qu’au moment où le projet de l’architecte est actualisé par la transformation de matériaux bruts et que la maison pourra remplir sa fonction – servir d’abri – que ce qui n’est qu’un vague projet sur un bout de papier devient un édifice. Un autre exemple qu’Aristote développera dans De anima est particulièrement heuristique. Si l’œil était une substance corporelle à part entière, la vue comme capacité de voir serait la forme tandis que la matière serait l’œil en tant qu’organe. Ce n’est qu’en actualisant les capacités biologiques de l’œil, c’est-à-dire en actualisant sa matière, en permettant de voir, que l’œil devient œil.
Ainsi, un candidat à la substantialité du corps est la forme en tant qu’elle est actualisation de la matière. Mais à quelle sorte de substance fait-on ici allusion ? Pour être précis, il faut également rappeler qu’il existe une quatrième forme de substance pour Aristote : la quiddité. Elle est « ce que c’est qu’être » pour un objet, ce qui s’exprime dans la définition (Métaphysique Z6, 1031b). En effet, on peut dire qu’une même table est ce composé de matière et de forme qui est devant moi (substance première).
Cet objet a aussi un genre, peut-être celui des corps artificiels (substances secondes), possédant une essence mais aussi une quiddité particulière, qui est en l’occurrence sa capacité à servir de reposoir pour un repas. Le corps peut donc être dit substantiel en deux façons : « Parfois, on ne voit pas si le nom désigne la substance concrète ou l’acte et la structure ; par exemple, est-ce que maison désigne l’ensemble, à savoir un abri formé de pierres et de briques disposées de telle façon, ou bien l’acte et la forme, à savoir un abri ? » (Métaphysique, H3 1043a 29).
En tant qu’il est un composé de matière et de forme, le corps peut ainsi être substantiel au sens d’une substance première mais en tant qu’il possède une forme, il peut aussi être dit substantiel au sens où il possède une quiddité. On voit alors comment notre première tension disparaît. Chaque corps, dont l’exemple incontestable est donné par les êtres vivants, possède une quiddité, donnée par une forme. Notre tension initiale disparaît alors. La quiddité est en effet pleinement réelle mais aussi pleinement intelligible, puisqu’étant similaire à la forme.
La substantialité du corps est donc un mouvement : le passage à l’acte d’une matière indéterminée à une chose possédant un principe d’organisation, le mouvement étant pensé comme un passage progressif et continu de la puissance à l’acte. On comprend donc que le corps n’est pas soumis à des chocs extérieurs. La maison peut être ébréchée par les contingences de l’histoire, ou modifiée selon le goût de ses propriétaires ; elle restera toujours une maison.
Chaque corps a en son sein un principe de mouvement, constitué par le passage de la puissance à l’acte. C’est ce qu’Aristote entend sous le terme de « phusis » (φύσις) : « La nature est un principe et une cause de mouvement et de repos pour la chose en laquelle elle réside immédiatement, par essence et non par accident. » [Aristote, Physique, II1,60]. La substance du corps est donc le mouvement, soit le principe le faisant passer de la puissance à l’acte.
C’est donc la physique, et non la géométrie, qui sera la science privilégiée pour l’étude des corps. Mais l’intérêt de l’exemple de la maison s’arrête ici car elle est un corps artificiel, non un corps naturel. Si nous avons fait des progrès considérables quant à l’étude du corps, nous sommes restés à un niveau de généralité problématique. Il faut désormais nous pencher sur la manière de penser la différence entre les corps. Comment les distinguer ? Quel pourrait être un élément de distinction ?
Comment distinguer les corps ? Thème du corps en philosophie
La matière, élément que l’on obtient lorsque l’on abstrait toutes les déterminations du corps, est ainsi indéterminée et ne pourrait être un élément de distinction. C’est donc la forme qui permettra de distinguer les différentes substances sensibles. On peut déjà distinguer les productions artificielles des corps naturels. En effet, les productions artificielles reçoivent leur principe, leur forme, d’un élément extérieur tandis que les corps naturels le reçoivent d’eux-mêmes.
La maison abritera les individus selon le plan de l’architecte, la voiture évoluera dans l’espace selon l’action d’un conducteur alors que les corps naturels se meuvent selon leur propre principe. On peut donc distinguer les corps artificiels et les corps naturels, distinction impensable pour la physique moderne : si vous devez calculer le temps de chute d’un objet le fait de savoir si c’est une pierre ou un corps artificiel ne représente aucun intérêt.
La spécificité du corps vivant, qui nous intéresse particulièrement, réside dans sa forme, consistant à en faire un corps animé de mouvements naturels. Qu’est-ce que ces mouvements naturels ? Ils sont mouvements orientés vers la vie, c’est à dire vers la croissance et la conservation de soi. Pour les corps vivants, la forme sera ici ce qu’Aristote appelle « âme », mais notons d’emblée qu’elle n’a rien à voir avec ce que nous, modernes, nous pouvons entendre par là.
L’âme peut en effet renvoyer au latin « animus » – soit le siège de la pensée – ou à « anima » qui traduit le grec « psukhê » (ψυχή) – souffle de vie –. Aristote parle d’anima et son traité De l’âme renvoie donc plus à un traité de biologie que de psychologie. Ainsi, comme le rappelle R.B. Onians [1999], la question de l’existence de l’âme des bêtes, si elle est un élément important de la pensée cartésienne, n’a pas de sens pour les grecs, puisque « psukhê » désigne le souffle de la vie. Puisque les bêtes et les plantes sont des êtres vivants, ils possèdent bien une âme.
Le corps et l’âme : la spécificité des corps vivants
L’âme est donc ce qui, dans un corps vivant, en fonde l’unité autour d’une fonction à remplir, d’une action à accomplir. Elle est passage à l’acte d’un corps matériel qui n’est lui que donné en puissance. L’âme est ainsi le principe qui anime l’être vivant dans ses différentes fonctions. Elle est cohésion dynamique et finalisée du corps et ainsi, l’âme est entéléchie ; au sens où l’entéléchie est le principe par lequel l’être trouve son achèvement en passant de la puissance à l’acte.
Entéléchie n’est que le calque du mot grec « entélécheia » (ἐντελέχεια) et R. Bodeus préférera le traduire par le terme « réalisation » ; ce qui est pour nous bien plus parlant car l’entéléchie est ce qui possède sa fin en soi, son achèvement. Rappelons bien que, comme nous l’avons vu, l’âme, qui est forme, est l’actualisation d’une matière d’abord indéterminée. Néanmoins, l’âme n’est pas n’importe quelle entéléchie. C’est une entéléchie première.
Pour comprendre cette distinction, Aristote utilise l’exemple, devenu célèbre, du grammairien (De Anima, livre II chapitre 5) qui consiste à distinguer la simple possession d’une science de son exercice. L’exercice actuel d’une science – le grammairien qui exerce sa grammaire – est ce qu’Aristote nomme entéléchie seconde et la simple possession de cette science – le grammairien est un grammairien sans exercer actuellement sa grammaire –entéléchie première.
Pour retranscrire l’exemple à la question de l’âme, le fait d’être vivant implique de pouvoir être en train de vivre, soit d’être éveillé (entéléchie seconde) ou d’être en état de sommeil (entéléchie première). L’âme est alors comparable à une entéléchie première, c’est-à-dire la simple possession de la science sans son exercice actuel. Ainsi, il faut bien comprendre que l’entéléchie première est à la fois en acte et en puissance : en acte par rapport à la pure puissance mais puissance par rapport à l’entéléchie seconde : je possède toutes les facultés pour pouvoir vivre, croître ou me nourrir mais quand je dors, je ne me nourris pas bien que j’en aie la possibilité.
Ainsi, l’âme est « l’entéléchie première d’un corps naturel possédant la vie en puissance ». Elle est donc plus la capacité d’exercer ses fonctions vitales que l’exercice même de ses fonctions. Cette définition peut sembler surprenante : pourquoi l’âme n’est-elle pas entéléchie seconde ? Rappelons-nous, la forme et la matière ne sont que des distinctions logiques, et non réelles. L’entéléchie seconde ne peut être l’âme seulement, puisque c’est l’être vivant en train de vivre, vous, moi, ce chêne ou cet écureuil.
Il n’y a donc aucun sens à distinguer l’âme et le corps comme deux entités réelles et c’est la conclusion du Livre II du De Anima. Il n’y a pas de sens à parler d’un corps sans âme – sans vie – car sans vie il devient un cadavre. Que serait une hache sans sa capacité de trancher ? Une âme sans corps est aussi absurde, puisque l’âme est justement le principe vital du corps. Les commentateurs d’Aristote au cours du 20ième siècle parleront pour décrire la doctrine d’Aristote selon laquelle l’âme est unie au corps comme la forme (morphê) et la matière (hylê) d’« hylèmorphisme ».
L’âme est donc la capacité dans un corps d’accomplir ses fonctions vitales. Cette capacité permet alors de distinguer les différents corps vivants car l’âme réalise différents degrés de vitalité. Il y a le degré minimal, la croissance, la conservation de soi (se nourrir, boire) que partagent aussi bien les plantes et les animaux. Pour autant, ces derniers possèdent un degré supplémentaire qu’est la sensation. Enfin, seuls les hommes, qui ne sont finalement que des « autres animaux » possèdent un dernier degré « la vie intellectuelle ».
Les plaisirs du corps – pensées de Socrate
Enfin, et cela sera ici la fin de notre première étape, puisque le corps et l’âme ne font qu’un, il s’agit également d’apprendre à vivre avec notre corps. Face aux plaisirs du corps, il s’agit de tenir un juste équilibre, de trouver la juste mesure et non de les nier. Aristote s’oppose ici à Platon, qui décrit la jouissance sexuelle dans le Philèbe comme contractant « tout le corps, le crispe parfois jusqu’aux sursauts et, le faisant passer par toutes les couleurs, toutes les gesticulations, tous les halètements possibles, produit une surexcitation générale avec des cris d’égarés » (47a).
Concernant les plaisirs du corps, Aristote a une position subtile, qui s’oppose au simple hédonisme : le plaisir n’est pas un fin en soi mais l’accomplissement de la vie humaine ne va pas sans plaisir. Et puisque l’homme, en tant qu’il est corps, possède une fonction, un ergon (ἔργον) ; l’accomplissement de cette vie d’homme s’accompagne également de plaisirs. Il ne s’agit donc pas de mener sa vie d’homme en vue d’un plaisir corporel – comme Don Juan accumule les conquêtes amoureuses –, mais plutôt de se réjouir des plaisirs corporels qui viennent à nous en accomplissant notre vie humaine.
Celui qui nierait les plaisirs du corps serait tout aussi déréglé que le gourmand qui veut que son gosier devienne plus long que celui d’une grue pour passer plus de temps à digérer : « Aussi l’homme heureux a-t-il besoin en sus du reste, des biens du corps, des biens extérieurs et des dons de la fortune… Et ceux qui prétendent que l’homme attaché à la roue ou dans les plus grandes infortunes est un homme heureux à condition qu’il soit bon, profèrent, volontairement ou non, un non-sens.» [Ethique à Nicomaque, VII, 114].
Voici la fin de ce premier opus dédié au thème de culture générale en prépa HEC, à bientôt pour le prochain avec l’éclairage de Descartes sur la notion de corps.
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Jérémy Fouliard
A propos de Jérémy
Normalien et élève de l’Ecole Polytechnique, Jérémy FOULIARD est spécialisé dans l’étude des sciences sociales, plus particulièrement de la macroéconomie internationale et de l’épistémologie des sciences humaines. Il est l’auteur de L’exclusion sociale (2017, Bréal à paraître) et est colleur en classes préparatoires HEC. Auparavant assistant de recherche à l’Université de Berkeley (Californie), il est actuellement chercheur associé à la London Business School. Retrouvez ses publications sur son site personnel.
Bibliographie :
- La Métaphysique, Aristote, nouvelle traduction avec commentaire par J. Tricot, 2 vol., Paris, 1962.
- L’Ethique à Nicomaque, introduction, traduction et commentaire par R.-A.Gauthier et J.-Y.Jolif, 3 vol., Paris-Louvain, 1958, 1959.
- Physique, traduction, présentation et notes par P. Pellegrin, Paris, 2000.
- De l’âme, traduction, présentation et notes par R. Bodéüs, Paris, 1993.
- Commentaire du Traité de l’âme, G. Rodier, Paris, Leroux, 1900, 178.
- Philèbe, Platon, traduction Léon Robin, La Pléiade.
- « Des corps au corps lui-même », F. Dagognet, in Le Corps, dirigé par J.C.Goddard et M.Labrune, Vrin, 1992.
- Les origines de la pensée européenne : sur le corps, l’esprit, l’âme, le monde, le temps et le destin, R.B. Onians, Seuil, 1999.
- Aristote et la théologie des vivants immortels, Richard Bodéüs, Les Belles Lettres, « Collection d’Etudes anciennes », 1993, 396p.
Pour aller plus loin (en vrac) :
- « Hylèmorphisme et fonctionnalisme. Sur la relation âme/corps chez Aristote », J.-L.Labarrière in SKEPSIS, Capes et Agrégation de philosophie 2004. Le corps et l’esprit, Paris, Delagrave, 2003 (très bonne synthèse sur l’hylèmorphisme et la notion d’entéléchie)
- Aristote : le philosophe et les savoirs, M. Crubellier et P. Pellegrin, Seuil, 2002 (excellente introduction à la philosophie d’Aristote)
- L’âme dans la métaphysique d’Aristote, M.-H.Gauthier-Muzellec Kimé 1996, p. 335 (très bel ouvrage pour approfondir la notion d’âme chez Aristote)
- Corps et âme. Sur le De anima d’Aristote, G.Romeyer-Dherbey.(dir.), Paris, 1966 (excellente synthèse d’intervention sur le De anima)
- « La « définition » aristotélicienne de l’âme », D. Demange Le Philosophoire, 2003/3 (n° 21), p. 65-85 (petit article synthétique pour comprendre la position d’Aristote sur l’âme)
- Leçons Aristotéliciennes, A. Philonenko, Les Belles Lettres, 2002 (excellent ouvrage, plus difficile d’accès)
Le mémoire en prepa HEC : culture générale
Le thème de culture générale en prépa HEC est la mémoire. Groupe Réussite va tenter d’aider les élèves de prepa HEC HEC à gagner des points en philosophie pour les écrits des concours d’école de commerce. De nombreuses ressources sur le thème de la mémoire en philosophie seront mises à disposition, notamment sur l’exercice de la dissertation qui pose le plus de problème aux élèves de prépa HEC. Les différentes ressources contiendront :
- Des exemples d’introduction dissertation la mémoire pour entrer en matière
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- Plan dissertation la mémoire pour avoir les idées claires avant les concours d’écoles de commerce
- Sujet dissertation la mémoire pour s’entraîner en prepa HEC
- Dissertation corrigée la mémoire
Mai aussi des ressources contribuant indirectement à la réussite de la dissertation sur le thème de la mémoire.
- Citations sur la mémoire en philosophie
- Des fiches thématiques sur la mémoire pour faire gagner du temps
Les différents thèmes de philosophie en prépa HEC
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- Pensées du philosophe Socrate sur la mémoire
- Les philosophes importants sur la mémoire
- Pensées du philosophe Saint Augustin sur la mémoire
- Thème de philosophie sur le désir
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