Mémoire et connaissance chez Socrate : Culture générale en prépas HEC
La librairie intérieure face au mythe de la réminiscence : la mémoire n’est pas seulement un savoir transmis.
Pour préparer vos épreuves de culture générale en prépa HEC pour les concours d’école de commerce, voici le premier épisode d’une série d’éclairages sur le thème de la mémoire en culture générale en prépa hec ece et ecs : la mémoire. Cela vous aidera grandement à améliorer votre culture générale.
Introduction : Socrate et le thème de la mémoire
La Titanide Mnémosyne, déesse de la mémoire, serait née de l’union d’Ouranos (le ciel) et de Gaïa (la terre). Zeus l’ayant prise pour amante, elle enfanta de neuf filles, les neuf muses protectrices des lettres, des arts et des sciences.
Attribuant un nom à chaque chose, Mnémosyne aurait également donné la possibilité aux hommes, non seulement de s’exprimer, mais surtout de connaître les choses en les nommant ; connaître, rappelons-le, signifiant peu ou prou “naître avec”. En désignant un objet par son nom, l’homme intériorise d’une certaine façon cet objet, il l’appréhende et le fait sien, et par l’intermédiaire du langage va conserver une part de l’expérience sensible qui y est associée.
Mémoire et connaissance sont ainsi étroitement liés et ne constituent peut-être que les deux faces d’une même pièce.
Mais partons des textes de Platon pour retracer le chemin qui nous amènera à cette conclusion. La lecture des textes des Anciens peut parfois laisser perplexe, tant les préoccupations philosophiques qui y prennent place, peuvent paraître forts éloignées des nôtres. Pourtant il n’en est rien ; il faut parfois s’éloigner du tumulte des questions controversées qui traversent notre modernité et revenir aux racines simples et dépouillées de la pensée occidentale, pour mieux appréhender l’esprit de son temps.
Ainsi, pour saisir l’enjeu de la théorie de la réminiscence énoncée par Socrate, faut-il mettre en perspective cette théorie avec l’ensemble de sa vie, portée sur la recherche du vrai. En effet, il ne s’agit pas ici de traiter de la mémoire en tant que telle, c’est la quête de la connaissance vraie chez le philosophe qui est en jeu. Partant, nous tenterons de remédier, partiellement, au défi de Socrate, qui, confronté aux discours fallacieux des sophistes, souhaite leur opposer une méthode permettant de distinguer la connaissance vraie des représentations fausses chez l’homme.
En effet, tout au long de ses dialogues, le philosophe souhaite défaire les discours fallacieux des sophistes et mener ses interlocuteurs sur le chemin du vrai. C’est en réalité cette volonté de dépasser ces opinons erronées qui motive la pensée socratique. Elle est explicitement désignée notamment dans les dialogues avec Protagoras dans la partie consacrée aux sophistes. Le sophiste conduit effectivement, sous une apparente logique, à tenir des discours faux, autrement dit des discours qui prônent des choses non-vraies, c’est-à-dire des choses qui n’existent pas. Ceci signifie, en définitive, que le sophiste fait exister du non-être. Cette contradiction ontologique justifie la démarche du philosophe athénien qui va alors chercher à apporter des explications à l’existence d’un tel résultat.
C’est en ayant conscience de cette problématique qu’il convient d’aborder la réflexion formulée par Platon qui nous mènera à aborder la mémoire et le mythe de la réminiscence. Socrate apportera des éléments de réponse par des métaphores ou des mythes progressivement amenés au cours de ses dialogues. Il est donc vivement conseillé de prendre le temps de les parcourir et d’en lire avec attention certains passages[1].
Avant d’aborder le mythe de la réminiscence il convient de découvrir les premiers développements de Socrate traitant de la mémoire, qui est cette capacité de l’esprit à conserver et à restituer des connaissances.
Ayant abordé ainsi la façon dont l’esprit acquiert des souvenirs, de façon parfois imparfaite, il sera possible dans un second temps d’apprécier par comparaison la spécificité de la réminiscence, comme mémoire vivante.
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Vulgarisation philosophique de l’enjeu de la connaissance vraie
Pour aborder sereinement les développements sur la connaissance et les souvenirs, un petit exercice de vulgarisation simple peut se révéler utile.
Pour commencer, prenons un exemple trivial. Je perçois une image, un rectangle tracé au crayon sur une feuille de papier. Je perçois cette forme et la reconnais. Je l’ai déjà vue quelque part, par exemple tracée à la peinture sur un mur… pourtant ce que j’ai perçu par le passé sur ce mur, ce n’est pas exactement le rectangle que je perçois sur ma feuille.
Il n’en demeure pas moins que cette expérience sensible que je fais aujourd’hui, se rapporte d’une certaine façon à une image que je possède, à une expérience antérieure, que je fais correspondre cette dernière avec mon expérience actuelle. J’harmonise ainsi l’expérience que je fais de ce rectangle avec l’image que je possède en moi.
Tâchons maintenant de revêtir cette expérience avec les mots de Platon. Pour cela, il faut distinguer deux processus. Le premier est un phénomène de constitution de « traces » qui demeure dans l’esprit du sujet. Chaque expérience marque cet esprit, tel un objet qui marque un bloc de cire tendre, et y laisse une marque, que Platon qualifie de semeion [2]. Cette marque sur le corps et l’esprit, demeure et sera ensuite mobilisée par le sujet, lors d’un prochain acte de perception.
Puis, lorsque le sujet fait acte de perception d’un objet extérieur, il en tire un contenu sensible qui va l’amener à former une image intérieure; qui tout en n’étant pas cet objet lui-même, lui ressemblera en tous points. Cette reproduction de l’objet fidèle que nous formons à chaque expérience, Platon la nomme eikon.
Faire acte de connaissance nous dit Platon, consiste alors à faire correspondre cette image fidèle, cet eikon, avec une signification antérieure qu’incarne la « trace » dans notre esprit, le semeion. Une connaissance vraie est un appareillage correct entre une image sensible d’un objet extérieur et une « trace » vraie.
Avoir une connaissance erronée peut au contraire avoir deux origines :
– un mauvais semeion qui a été autrefois marqué par erreur, ou qui s’est altéré avec le temps.
– une erreur de correspondance entre un eikon et un semeion, un peu comme à l’instar des enfants en bas-âge qui tentent, en vain, de faire entrer les mauvaises formes dans leur boîte de jeu à encastrements.
Ce type d’erreur résulte donc d’une confusion ou plutôt d’une ressemblance entre deux traces, l’une évoquant le souvenir de l’autre et se faisant passer pour elle. Dans ce dispositif la mémoire ne semble intervenir que comme une capacité de stockage passive de marques issues d’expériences subjectives antérieures. Or cette mémoire-stockage est au regard de Socrate lui-même, bien pauvre. Cette connaissance n’est pas essentielle et vivace, elle s’approche davantage de l’écriture qu’il qualifie de “mémoire morte”” dans le mythe de Theuth.
Le mythe de Theuth
Socrate appréhende l’écriture comme une mémoire morte, figée, qui se contente de délibérer des savoirs sans éprouver la vérité d’un discours.
Cette conception ressort de la présentation du mythe de Theuth dans le Phèdre (274e-275). Theuth est un ancien dieu d’Egypte, à une époque où régnait le roi Thamou. Présentant à ce dernier les sciences qui seraient utiles aux hommes, Theuth en vient à proposer sa dernière invention : l’écriture. Selon lui, celle-ci permettrait la diffusion de la mémoire et des savoirs.
« Voici, ô Roi, dit Theuth, une connaissance qui rendra les Égyptiens plus savants, et leur donnera plus de mémoire : mémoire et science ont trouvé leur remède. »
Thamouth lui rétorque alors “Et toi, à présent, comme tu es le père de l’écriture, par bienveillance tu lui attribues des effets contraires à ceux qu’elle a. Car elle développera l’oubli dans les âmes de ceux qui l’auront acquise, par la négligence de la mémoire ; se fiant à l’écrit, c’est du dehors, par des caractères étrangers, et non du dedans, et grâce à l’effort personnel, qu’on rappellera ses souvenirs. Tu n’as donc pas trouvé un remède pour fortifier la mémoire, mais pour aider à se souvenir. Car, après avoir beaucoup appris dans les livres sans recevoir d’enseignement, ils auront l’air d’être très savants, et seront la plupart du temps dépourvus de jugement, insupportables de surcroît parce qu’ils auront l’apparence d’être savants, sans l’être. »
Socrate développe ensuite cette sentence sans appel ; l’écriture permet de conserver des connaissances passées qui ne sont plus dans le présent, de l’être qui n’est plus, rabaissé au rang des “souvenirs”. Ces savoirs fermés, peuvent être possédées et transmis, sans jamais s’animer, ni ouvrir leur gangue pour libérer une connaissance vivante. Car seule l’âme possède de tels savoirs en son sein, l’écriture elle, lui est radicalement extérieure et le restera.
Par l’écriture les hommes se souviendront, mais ne connaîtront plus. Pour connaître, il faut au contraire vivre la connaissance et repartir du début pour refaire le chemin de la pensée. Et pour ce faire les écrits des livres ne peuvent servir de raccourcis ; l’écriture n’est qu’une tentative imparfaite, condamnée d’avance, de saisir ce chemin. Pire, elle pourrait même polluer cette montée vers la connaissance vraie, en laissant croire qu’elle offre un savoir tout prêt à la consommation.
En cela, il vaut mieux oublier pour mieux remonter à la réminiscence du vrai, cette démarche qui est don de Mnemosys, la mère de toutes les Muses.
A une mémoire stockage inerte, s’apparentant à une librairie, Socrate préfère la réminiscence mouvante des idées vraies, véritable mémoire vivante. Cette mémoire-là, la vraie, est donc la capacité de l’esprit humain à revivre une vérité et à reprendre le cours d’un chemin, dont nous pouvons retrouver la trace si nous cherchons avec méthode. Socrate démontrera cette possibilité pour introduire sa conception de la réminiscence.
Le mythe de la réminiscence
Reprenons notre présentation de l’acte de connaissance que nous avons opérée. Une question irrésolue pourrait se poser à l’issue de cette petite présentation : comment les semiea peuvent-ils être déjà en nous, sans que nous ayons besoin de faire l’expérience d’un apprentissage antérieur ? Chacun semble effectivement posséder en lui ces traces du vrai en soi, sans avoir besoin d’avoir fait une expérience antérieure. En outre, le corollaire aporétique de cette question posée à Socrate est le suivant : comment peut-on chercher à connaître quelque chose que nous ne connaissons pas, sachant que cette chose une fois atteinte ne sera pas reconnaissable en tant que telle car, par principe, nous ne savions ce que cette chose était. (« Et comment chercheras-tu, Socrate, ce dont tu ne sais absolument pas ce que c’est ? » Médon 80d).
Ces paradoxes posés dans le discours du Ménon, sont mis en exergue au cours d’une démonstration pratique du philosophe qui demande à un esclave de résoudre un exercice guidé de géométrie. L’esclave, personnage a priori dépourvu de connaissances poussées en géométrie, parvient à l’aide de Socrate à résoudre le problème et à trouver une solution. Ceci prouve au philosophe athénien que cet esclave, à l’instar de tous les hommes, possédait déjà en lui les connaissances nécessaire à ce résultat.
Autrement dit l’esclave, au cours de l’exercice et à l’aide de Socrate, s’est souvenu des connaissances qu’il possédait déjà (« Socrate : Or reprendre soi-même une connaissance en soi-même, n’est-ce pas se ressouvenir ? » (85 d)).
L’esclave n’ayant suivi au cours de sa vie actuelle aucun cours en géométrie, c’est donc qu’il a acquis dans une autre vie ses connaissances redécouvertes au cours de l’exercice, « Mais si ce n’est pas pour les avoir acquises dans sa vie présente, ceci n’est-il pas clair dès lors, qu’il les a possédées dans un autre temps et qu’il les avait apprises ? » (86 a).
La réminiscence c’est précisément cette expérience vécue par l’esclave, en se remémorant les vérités éternelles que possède l’âme immortelle. Connaître correctement consiste donc à établir une correspondance, d’aucuns diront une dialectique, entre l’expérience présente et le souvenir des idées éternelles dont l’âme immortelle est dotée.
Cette expérience sensible de l’épreuve des vérités éternelles est décisive pour la quête de Socrate. Le philosophe remonte à la vérité contenue en nous à partir d’une expérience de la dialectique, et c’est cette vérité qui nous permettra en retour de connaître les choses du monde extérieur avec justesse. Un penseur chrétien comme Saint-Augustin s’appropriera ce cheminement dans ses développements sur la foi. L’homme devant s’arracher à ses simples expériences sensibles pour remonter vers la vérité éternelle divine, autrement dit Dieu, et ainsi discerner en retour ce qui relève de l’imperfection et de la perfection dans le monde terrestre.
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Le rôle de la maïeutique
La mémoire s’apparente à une trace antérieure qui dure éternellement au travers des âmes. L’oubli est alors une trace qui s’est effacée ou que nous avons enfoui sous des opinions fausses. Mais dès lors qu’une marque existe, même si nous pensons ne pas la posséder et qu’elle est recouverte par des discours faux, nous pouvons la retrouver et ainsi renouer avec la connaissance vraie de l’objet dont nous faisons l’expérience sensible. C’est précisément ce dialogue de la maïeutique qui va nous permettre de retrouver cette trace vraie.
Ainsi la réminiscence est bien davantage qu’une simple conservation de traces, elle est conscience de soi, au sens où elle consiste à éclairer ce qui est en nous. La réminiscence est ce cheminement emprunté par l’esclave, qui pour résoudre un problème de géométrie mobilise des idées qui sommeillent en lui, et partant prend conscience de leur existence. On retrouve d’ailleurs un corollaire de la devise au frontispice du temple de Delphes, « Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les Dieux”. C’est cette capacité qui est un don de Mnémosyne (Dôron tês tôn Mousôn mêtros Mnêmosunês)” — 191 d, la mère de toutes les muses.
Le chemin le plus sûr d’activer cette faculté de la réminiscence demeure celui de la maïeutique, cet art qui consiste à pratiquer l’accouchement de la vérité chez les âmes et qui stimule la capacité de jugement du sujet. La maïeutique est la démarche décisive qui va nous permettre de renouer avec la vérité, vérité qui est la juste correspondance, d’aucun dirons « harmonie », entre la perception sensible du monde et la signification vraie que nous possédons en nous.
En conclusion, si les jugements faux proviennent de discours parfois entachés d’erreurs en raison de de savoirs mal « réenregistrés » ou mal « associés » à un objet sensible, la méthode de la maïeutique peut nous ramener dans le vrai avec davantage de certitude. Cette dernière étant possible chez tous les hommes, chaque esprit peut donc retourner vers le vrai, chaque esprit possède ainsi un potentiel de vérité en soi.
Cette véritable connaissance n’est pas synonyme d’un apprentissage certes ordonné, mais qui se réduirait à contenu appris par cœur. Non, cette connaissance véritable est une épreuve de vie, elle se vit et s’expérimente et ne peut s’atteindre autrement. Il ne suffit pas que l’esprit observer la piste qui remonte à la vérité, il doit s’y attaquer et la remonter de façon progressive avec effort. Cette vérité ne s’apprend pas elle se vit et se revit, l’homme faisant ainsi acte de mémoire.
Montrer que l’on vit la connaissance et ne pas reproduire par cœur sans porter de jugement critique sur ce qu’on véhicule par ses mots, tel est également ce vers quoi pourrait tendre une bonne copie de culture générale.
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Louis Lapeyrie
A propos de Louis
Après deux années de classe préparatoires B/L, ainsi qu’une licence de sciences sociales mention économie à l’université Paris-Dauphine, Louis intègre le master Carrières judiciaires et juridiques de l’Ecole de droit de Sciences Po Paris, assorti d’un mémoire de recherche sur le droit pénal de l’environnement. Tout juste diplômé, il prépare actuellement les concours de la haute fonction publique, toujours à Sciences Po.
[1] Pour mémoire, les thèmes abordés ici sont présent dans Le Sophiste, le Protagoras, le Théétète, le Ménon ainsi que le Phèdre.
[2] « Semeia » au pluriel, terme qui désigne un témoignage, un signe ou une marque).